I. Des chiffres inquiétants
Selon le rapport « Violence à l’égard des femmes : une enquête à l’échelle de l’UE »publié en 2014 par l’Agence Européenne des Droits Fondamentaux (FRA), en 2012, 36 % des femmes Belges déclarent avoir subi des violences physiques et/ou sexuelles d’un(e) partenaire ex ou actuel ou d’un(e) non-partenaire depuis l’âge de 15ans. 44% des femmes déclarent avoir subi des violences de nature psychologique et 60 % des femmes indiquent avoir été victimes de harcèlement sexuel depuis l’âge de 15 ans. Ces chiffres se situent au-dessus de la moyenne européenne.
Emmanuelle Mélan ciminologue révèle dans une enquête de terrain provenant d’une recherche soutenue par la CFWB et menée au sein de Solidarité Femmes asbl que 79% des femmes sondées déclarent subir encore des violences après s’être séparées de leur conjoint dans les cinq ans qui ont suivi la séparation.
Jean-Louis Simoens,coordinateur pour les Pôles de ressources spécialisées en violences conjugales et intrafamiliales, déclarait dans la presse le 16 septembre 2019 que « 80 % des féminicides sont commis par un ex-conjoint. La séparation ne met jamais fin à la violence. On parle de situation d’emprise et de contrôle. Quand vous vous êtes vue mourir à plusieurs reprises, vous restez parce que vous savez de quoi votre conjoint est capable”.
En 2018, 38 964 plaintes ont été enregistrées par les services de police sur l’ensemble du pays pour des faits de violence entre partenaires dont 21 604 sont des violences intrafamiliales physiques.
Selon Vie Féminine, en 2018, 70% des plaintes pour des faits de violence sont classées sans suite alors que ces victimes de violences psychologiques et/ou physiques peinent toujours à briser le silence.
Les chiffres sont consternants, il est urgent de prendre des mesures et les mettre en application afin de lutter contre les violences faites aux Femmes.
Dans son Livre blanc du ministère public intitulé « En route pour 2025 » le ministère public a inscrit la lutte contre les violences intrafamiliales comme première priorité.
II. Un manque de données statistiques fiables
Selon « Vie Féminine » 36 féminicides ont été dénombrés en Belgique en 2018 c’est-à-dire une femme est morte tous les dix jours sous les coups de son partenaire, déjà 14 au moins depuis le début de l’année 2019.
Ces chiffres ne proviennent pas d’autorités publiques puisqu’il n’existe pas de relevé officiel des meurtres de femmes, tuées parce qu’elles sont femmes. Les associations se réfèrent principalement à l’actualité médiatique pour effectuer un recensement.
Malgré leur ampleur et leur impact social, la violence intrafamiliale et la violence conjugale restent toutefois un problème trop peu rapporté et relativement peu étudié. Le dernier rapport officiel publié en Belgique par l’Institut pour l’égalité des femmes et des hommes (IEFH) date de 2010. Il existe en Belgique peu de chiffres sur la présence de ces types de violence, les statistiques enregistrées par la police ou les hôpitaux ne dévoilent que les cas qui ont été déclarés, alors que bien souvent et pour diverses raisons, les victimes ne les dénoncent pas, à peine une femme victime sur quatre déclare l’incident à la police. De plus, la plupart des victimes féminines de violence intrafamiliale ne recherchent aucune aide médicale, même lorsque c’est nécessaire.
III. Une définition légale et pénale du féminicide ?
Le terme « féminicide » a fait son entrée dans le dictionnaire en 2015, on parlera de « féminicide intime » lorsqu’un compagnon ou ex-compagnon est l’auteur des violences mortelles, c’est le cas de 90% des féminicides commis en Belgique. Actuellement, le féminicide n’a pas d’existence juridique.
La question, en abordant ce délicat dossier, est de savoir si nous faisons droit à un demande d’une partie des mouvements féministes d’en faire une incrimination pénale inscrite dans le code pénal.
Nous avons beaucoup réfléchi à cette question et à ce stade, même si nous ne sommes pas opposés à cette incrimination, nous pensons que la vraie demande porte sur une batterie de mesures en amont pour répondre à toutes une série de situations qui sont peu ou pas prises en compte. La question légitime du féminicide dans le code pénal découlera ou pas de la mise en œuvre effective des autres mesures.
Nous avons voulu dès lors concentrer nos propositions sur des dispositifs nouveaux, sur le renforcement de l’arsenal juridique existant et sur son application effective.
Les récents chiffres concernant les féminicides commis en Belgique sont révélateurs des manquements dans le système de protection et dans la mise en œuvre des mesures prévues par la Convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique (dite Convention d’Istanbul).
Un plan d’action national de lutte contre toutes les formes de violences basées sur le genre (2015-2019) vise bien une série de mesures pour lutter contre toutes les formes de violences faites aux femmes mais reconnaissons que les principes énoncés s’ils sont plein de bonnes intentions péchent par manque de concrétisation, principalement dans le manque de prise en charge et le suivi des victimes lors du dépôt d’une plainte judiciaire qui en découle.
Si les objectifs ne sont pas atteints et que l’on constate une recrudescence inquiétante des cas de violences faites aux femmes, il s’agit d’abord d’un manque de moyens dévolus à la police et la justice mais pas seulement…
Au travers d’un plan d’actions spécifiques afin de lutter contre la violence à l’égard des femmes, j’entends apporter des réponses concrètes supplémentaires à cette lutte contre les violences.
IV. Des mesures concrètes pour protéger, rassurer, éloigner, déculpabiliser et punir.
1. Créer un groupe de recherche et d’expertise dédié aux violences à l’égard des femmes.
Lorsqu’on recherche des informations sur les violences à l’égard des femmes, on se rend très vite compte qu’il est complexe de trouver des chiffres clairs et récents quant au nombre de faits de violence, aux types de violence, à l’origine des violences,… autant d’informations qui permettraient d’avoir un regard objectif et évaluer le cadre juridique actuel, l’efficacité de ce cadre, sa mise en application… C’est grâce à ces données que nous pourrons améliorer et cibler davantage les actions des services de police et judiciaires. Sachant que la Belgique s’est engagée à produire ces données en ratifiant en 2016 la Convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique (dite Convention d’Istanbul).
Nous souhaitons qu’un groupe de recherche et d’expertise soit chargé de :
- Collecter les données statistiques pertinentes, à intervalle régulier, sur les affaires relatives à toutes les formes de violence à l’égard des femmes.
- Mener des enquêtés basées sur la population, à intervalle régulier, afin d’évaluer l’étendue et les tendances de toutes les formes de violence tenant compte de celles qui ne seraient pas déclarées officiellement et donc non prises en compte dans les statistiques.
2. Tolérance ZERO à l’égard des violences faites aux femmes
En 2004, le Procureur Bourguignont avait lancé à Liège « la tolérance ZERO » pour les dossiers de violences à l’égard des femmes, l’idée sera reprise dans une circulaire pour que la tolérance zéro soit appliquée à l’échelle de la Belgique. Cette circulaire avait alors été suivie des faits et les violences à l’égard des femmes avaient alors été considérées comme une vraie priorité dans la politique des poursuites des parquets. Après un an, « plus de 1.900 hors-serie de violence conjugale ont été ouverts et le taux de classement sans suite est passé de 90 à 25 % », soulignait René Begon, chargé de projets au Collectif contre les violences familiales et l’exclusion basé à Liège, dans un rapport en 2005.
De plus, dans beaucoup de parquets, par manque de moyens on a décidé de systématiquement (parfois pendant seulement quelques mois comme à Bruxelles 1700 dossiers) classer sans suite les dossiers de harcèlement, d’abandon de famille ou de non présentation d’enfants. Lorsque ces faits ne sont pas poursuivis, c’est une violence très insidieuse qui est acceptée et qui peut amener à des violences encore plus grandes.
On sait qu’actuellement, les moyens de la justice et de la police sont insuffisants, c’est pourquoi nous souhaitons un refinancement de la justice et de la police. Au travers de ce refinancement, un projet de tolérance zéro pourra être implanté (actuellement 70% des plaintes pour des faits de violence sont classées sans suite) . J’en avais fait une priorité lors de ma campagne électorale en province de Liège que je souhaite voir en application rapidement.
Concrètement, la tolérance zéro comprend les mesures suivantes :
- Plus de classement sans suite pour les dossiers de violences à l’égard des femmes.
- Quels que soient les faits, un procès-verbal doit être dressé même si la victime ne veut pas ou n’ose pas porter plainte
- Le parquet déploie tout l’arsenal répressif disponible en fonction de la gravité des faits, de la simple comparution devant un substitut à l’emprisonnement.
- Lorsque l’agent de police dresse le PV, s’il s’agit d’un fait léger, il doit avertir le parquet dans les huit jours, lequel décidera d’une éventuelle poursuite. S’il s’agit d’un fait grave ou d’un cas de récidive de coups légers, l’agent doit avertir le magistrat de garde qui peut décider d’une garde à vue immédiate avant de proposer qu’une information judiciaire soit menée, voire que l’auteur des coups soit appelé à comparaître devant le tribunal correctionnel.
- Mesure d’éloignement de l’auteur des faits de violence, et non le déplacement de la victime parfois avec ses enfants.
3. Systématiser la possibilité de déposer plainte dans les hôpitaux
Il est déjà extrêmement difficile pour les victimes d’oser se rendre à l’hôpital pour être soignées, c’est encore plus difficile de franchir l’étape suivante pour se rendre ensuite dans les services de police pour déposer plainte. Sans compter que souvent, la victime rentre à son domicile au contact de son agresseur qui la décourage par de belles promesses ou dans le pire des cas, de nouvelles menaces et/ou coups et blessures.
Actuellement, en Belgique, il existe dans 3 hôpitaux (hôpital universitaire de Gand, CHU Saint-Pierre de Bruxelles et CHU de Liège), un Centre de prise en charge des victimes de Violences Sexuelles, on peut y référer des victimes à tout moment, peu importe l’heure ou le jour. Elles sont prises en charge pour obtenir des soins médicaux, un support psychologique, une enquête médico-légale, et si souhaité déposer plainte à la police par l’intermédiaire d’un inspecteur spécialement formé pour les faits de mœurs. Il a été prouvé que les chances de guérison chez les victimes de violences sexuelles qui recevaient des soins multi-disciplinaires étaient meilleures, qu’elles récupéraient plus rapidement et risquaient moins de subir des nouvelles violences. L’OMS recommande d’ailleurs que chaque victime reçoive ce type de soins et d’accompagnement aussi vite que possible après l’agression.
Je souhaite systématiser l’accueil des victimes et leur accompagnement quelles que soient les violences subies, pas seulement sexuelles, que les victimes aient la possibilité et qu’on leur propose de porter plainte à l’hôpital lorsqu’elle s’y rende pour se faire soigner et faire constater les faits.
4. Créer un système de télé-vigilance spécifique aux victimes de violences
Le système existe déjà notamment pour les personnes âgées relié directement à une centrale de secours. Le principe serait le même, une petite commande munie d’un bouton permettant de signaler des faits de violences directement aux services de police. Ce système serait disponible pour les victimes de violence qui restent en contact avec l’agresseur par exemple dans le milieu de vie ou dans le cas où l’agresseur se présente à répétition au domicile de la victime. L’appel via ce système serait pris en urgence afin d’envoyer des agents de police directement sur place.
5. Mise en place d’un dispositif électronique anti-rapprochements.
Le bracelet anti-rapprochement est prévu dans la proposition de loi dans trois situations que nous décrivons, à savoir, comme mesure pour assurer l’effectivité de l’éloignement de la personne violente comme alternative au mandat d’arrêt et comme mesure probatoire. Au travers de ces trois situations, nous avons ainsi voulu couvrir le plus large spectre de situations dans lesquelles la personne violente est susceptible de réitérer des violences.
a) L’interdiction temporaire de résidence et le bracelet anti-rapprochement
La loi du 15 mai 2012 sur l’interdiction temporaire de résidence en cas de violences a déjà permis une mesure importante d’éloignement du conjoint violent de la résidence commune en cas de violence domestique.
Je souhaite au travers de ma proposition de loi mofidier cette loi pour y insérer la mesure de placement d’un bracelet anti-rapprochement sécurisant pour la victime et aidante pour la personne éloignée qui ne peut plus s’approcher de la victime sans qu’il soit fait appel aux forces de police.
Ce dispositif existe déjà dans d’autres pays tels que la France et surtout l’Espagne qui l’utilise depuis quelques années et a vu, ainsi son taux de violences domestiques et de féminicides diminuer de manière importante.
Composé d’un bracelet électronique permettant de géolocaliser la personne violente et d’un boîtier dont est munie la victime, le bracelet anti-rapprochement permet à cette dernière d’être informée si la personne éloignée s’approche. Si celui-ci pénètre dans une « zone interdite », une alarme se déclenche automatiquement et permet l’intervention des forces de l’ordre.
Cette mesure ne pourra prendre effet sans l’accord de la personne qui y serait soumise car il s’agit d’une mesure contraignante à l’égard d’une personne non condamnée. Principalement, cette mesure a pour objectif de prévenir la récidive de coups et blessures à l’égard d’un conjoint ou ancien conjoint, ce qui est la grande crainte des victimes de ce type de violence.
Par ailleurs, cette mesure permet à la victime de rester chez elle et ne l’oblige plus à aller se réfugier chez des proches ou même dans des refuges pour « femmes battues »
b) L’alternative à la détention préventive
Je souhaite également inscrire la mesure de placement d’un bracelet anti-rapprochement comme alternative à la détention préventive lorsque la poursuite évolue vers une instruction judiciaire et que la personne violente serait susceptible d’être mise sous mandat d’arrêt. Le mandat d’arrêt a surtout pour effet d’empêcher la réitération des phénomènes de violence et le bracelet anti-rapprochement peut servir cet objectif
c) Conditions probatoires
Sans que cette mesure doive être inscrite dans un dispositif légal, le placement du bracelet anti rapprochement peut également entrer dans des conditions imposées lors d’une peine de probation autonome ou l’octroi d’un sursis probatoire.
Sudpresse en ligne Comment éviter 3 décès de femmes par mois en Belgique!
Chronique CathoBel La chronique de Sébastien Belleflamme : « Ma femme… je te tuerai »