Vanessa Matz (cdH): Monsieur le ministre, j’avais parallèlement introduit auprès de votre collègue, M. De Crem, une question sur la 5G portant plus spécifiquement sur la sécurité. Je ne sais pas très bien comment vous vous êtes réparti les choses. J’entends mes collègues revenir sur cet aspect-là. Peut-être allez-vous pouvoir nous répondre au nom du gouvernement.
La question que je vous destinais concerne les solutions provisoires proposées par l’IBPT. On ne peut reprocher à l’IBPT de vouloir à la fois garantir le fonctionnement de la 2G et de la 3G et aussi d’organiser le futur déploiement de la 5G. Mais cela pose une question importante au niveau démocratique car il n’y a pas de décision du gouvernement pour ces mesures provisoires. Quand on connaît les répercussions, que ce soit au niveau économique, de la santé ou de la sécurité, on peut effectivement s’interroger sur ce positionnement qui nous semble devoir être couvert par le politique.
J’aimerais connaître la position du gouvernement quant aux annonces de l’IBPT sur ce déploiement et ces licences provisoires. Soutenez-vous cette proposition? La presse relaie que l’IBPT ne viserait que certains secteurs comme l’e-santé ou l’automatisation. Qu’en est-il? Pouvez-vous nous éclairer? La venue de la 5G ne constitue-t-elle pas une urgence dont un gouvernement même d’affaires courantes doit se saisir de manière plus entière?
Qu’en est-il de la prise en compte des recommandations de la boîte à outils que la Commission européenne a formulées la semaine dernière et qui portent sur des aspects sécurité? Dans quelle mesure la Belgique est-elle prête à entendre ces recommandations?
Comptez-vous autoriser tous les équipementiers sur notre territoire? Cela concerne davantage la sécurité. Je pense notamment au producteur Huawei souvent pointé du doigt par rapport à la sécurité des données qui pourraient circuler. On sait que les États-Unis ont pris une position de principe et qu’ils essaient d’influencer l’Union européenne pour qu’elle fasse de même.
L’Europe a été incontestablement plus nuancée sur le choix des équipementiers, mais il reste que cela pose question. On sait que les deuxième et troisième les plus avancés dans le développement de la 5G sont des Européens. Comment le gouvernement se positionne-t-il par rapport à cela? Par des exclusives – décidément, c’est un terme à la mode? Ou dit-il plutôt qu’il faut garantir un certain nombre de mesures de sécurité – sans mettre forcément Huawei hors-jeu – pour déployer la 5G? En synthèse, il y a l’aspect de la sécurité et il y a l’aspect IBPT.
Monsieur le ministre, je vous avoue que je m’interroge: par une petite « entourloupe législative », comment est-il possible de déployer une partie de la 5G sans passer par une décision démocratique, c’est-à-dire d’un gouvernement et/ou du Parlement?
Philippe De Backer, ministre: Le déploiement de la 5G en Belgique devrait être une priorité absolue en raison de son énorme impact sur la numérisation de notre pays, l’économie et l’emploi. Nos voisins ont déjà lancé ou lanceront prochainement les enchères pour les fréquences 5G.
Comme mon prédécesseur, je fais l’impossible depuis début 2019 pour permettre ce déploiement. Juste avant les élections, j’ai soumis au Comité de concertation une dernière proposition consistant à organiser la mise aux enchères des fréquences, puis à discuter de la répartition des coûts. Cette proposition n’a pas été acceptée à l’époque. En attendant, j’ai continué à rechercher des solutions. Je planche sur une solution à court terme qui sera suivie d’une solution définitive. Je m’attelle également à la question de la cybersécurité.
À court terme, les licences 2G et 3G expirent en mars 2021. L’UE presse pour qu’elles soient de nouveau mises à disposition. Nous organisons une prorogation par tranches de six mois jusqu’à ce qu’une mise aux enchères définitive puisse se dérouler. D’ici mars 2021, les opérateurs pourront ainsi effectuer partiellement le passage vers de nouvelles fréquences qui pourront éventuellement être achetées lors de la mise aux enchères. L’organisation d’une mise aux enchères en septembre 2020 n’est plus réalisable. Les actuelles licences 2G et 3G doivent, dès lors, être prorogées. J’ai demandé à l’IBPT de mettre temporairement des fréquences 5G à disposition en attendant la mise aux enchères.
L’article 22 de la loi sur les télécommunications prévoit cette possibilité. L’IBPT peut le faire sans avoir besoin d’une décision gouvernementale ou d’un accord au sein du Comité de concertation. Nous avons formulé cette demande à l’IBPT et il a lancé ses consultations ce vendredi. Ces fréquences permettent des applications 5G dans différents secteurs, pas seulement la santé ou l’automatisation.
Ces fréquences 5G ou 3,5 GHz conviennent aux applications locales dans les entreprises ainsi qu’aux applications géographiquement délimitées. Elles sont à utiliser pour les terrains industriels, les ports et les stades de sport, mais ne sont pas appropriées au développement d’un réseau rural. Elles peuvent encore être mises en service avant l’été. Nous éviterons ainsi que notre économie se laisse dépasser. Nous avons également envisagé la mise à disposition provisoire des fréquences 700 MHz et avons contacté les opérateurs à cet effet. Ceux-ci ont fait savoir qu’ils n’étaient pas intéressés, du moins pas avant mi-2021.
Il s’agit donc d’une solution temporaire à court terme. D’ici l’été, des applications locales et de plus petite envergure, telles que Citymesh, pourront également en faire usage. Les fréquences vont être ouvertes à toutes les parties intéressées. Il va de soi que cette solution temporaire n’a de sens que si une perspective à long terme est également créée.
Plusieurs entreprises sont demandeuses d’un réseau 5G privé leur permettant de disposer de leur propre fréquence. On pourrait, à cette fin, mettre à disposition 400 MHz supplémentaires de fréquences 5G, mais cette décision doit être prise par un gouvernement de plein exercice.
J’ai demandé à l’IBPT de consacrer une étude à la part d’utilisation des médias dans les réseaux. Cette étude sera prête d’ici la fin du mois de février. Nous avons besoin de ces informations pour répartir les recettes de la mise aux enchères entre les différentes entités. Pour l’instant, cette étude indiquerait que le pourcentage d’utilisation des médias serait plutôt modeste, il serait même inférieur à 20 %. Ma nouvelle proposition est la suivante: la part ne revenant pas aux Communautés et aux Régions pourrait être utilisée pour soutenir des investissements dans l’écosystème 5G, comme des applications smart city pour les autorités locales, des applications industrielles innovantes ou des applications média. Ces investissements pourraient nous mener dans le peloton de tête en matière d’applications 5G.
Par ailleurs, nous savons très bien que dans un avenir prévisible, la quasi-totalité de notre économie sera dépendante de nos infrastructures 5G. C’est pourquoi la sécurisation de nos réseaux 5G à laquelle nous procédons actuellement est un élément-clé. Dès le départ, nous avons insisté auprès de l’UE pour que celle-ci procède à une analyse de risques. Celle-ci a été réalisée en mars 2019 et la boîte à outils, censée répondre aux questions ayant trait à la sécurité, nous a été livrée fin janvier 2020. D’ici au 30 avril, nous devons prendre les mesures de sécurité requises et l’UE attend un état des lieux pour le 30 juin. Ce calendrier, que nous entendons respecter, se déroule parallèlement à la mise à disposition temporaire de fréquences 5G.
Trois types de mesures sont nécessaires. Les normes imposées aux opérateurs de téléphonie mobile en matière de sécurité doivent être renforcées, des restrictions doivent être imposées aux fournisseurs présentant un risque élevé et, pour éviter une situation de trop grande dépendance, chaque opérateur doit développer une stratégie s’appuyant sur plusieurs fournisseurs.
Sans cibler des pays ou des fournisseurs en particulier, la boîte à outils européenne invite néanmoins les États membres à évaluer le profil de risque des fournisseurs sur la base des critères suivants: s’agit-il d’un fournisseur qui n’entretient pas de liens avec un État, dans quel pays est-il établi, doit-on s’attendre de la part de ce pays à des infractions en matière de télécommunications?
Les mesures à prendre en matière de sécurité sont actuellement étudiées par l’IBPT en collaboration avec les services de sécurité. Le Conseil national de sécurité prendra ensuite une décision tandis qu’il incombera au gouvernement et au Parlement de développer la base légale nécessaire.
D’autres questions concernaient la santé qui relève de la compétence des différentes Régions. C’est donc à elles qu’il revient de fixer les normes qu’elles veulent implémenter sur leur territoire. C’est donc aux Régions qu’il faut s’adresser.
À la base, je suis un scientifique. Je n’ai pas encore vu d’études ayant démontré un réel problème. Il est nécessaire que la raison prime et qu’on s’en tienne aux faits. Les facts and figures demeurent importants tout comme le fait de prendre une décision pour disposer d’applications 5G partout dans notre pays et surtout dans les grandes villes. Même si nous avons évidemment des contacts avec différentes capitales, je n’ai pas connaissance d’un document secret ni de preuves irréfutables.
Vanessa Matz (cdH): Monsieur le ministre, je vous remercie pour votre réponse très complète.
Je voudrais vous réinterroger sur deux ou trois éléments et partager une réflexion plus globale. Il n’est pas du tout question, dans notre chef, de refuser le déploiement de la 5G pour les raisons que certains ont évoquées. Ce n’est pas du tout cela, mais il est vrai que la situation pose question.
Je ne dis pas que l’IBPT est hors-la-loi mais on peut néanmoins s’interroger quand on sait que c’est un dossier qui, politiquement, intéresse tout le monde. En effet, on a un petit peu l’impression que les choses se font derrière notre dos. Cela continue à poser question même si l’option n’est pas de dire qu’il ne faut rien faire.
On sait que cela a des répercussions économiques importantes qui sont naturellement modelisées par l’aspect santé qui relève des entités fédérées. La situation suscite également des questions de sécurité auxquelles vous avez largement répondu, mais aussi des questions environnementales. Toutes ces questions interrogent forcément des politiques. On a l’impression que cela nous échappe quelque peu, alors que le déploiement de la 5G est colossal et impacte beaucoup de domaines.
Sur les questions de sécurité que vous avez évoquées, vous avez dit que vous alliez examiner les choses en essayant à chaque fois de mentionner toutes les normes nécessaires pour une sécurisation optimale. Dans cette phase provisoire, ces normes de sécurité sont-elles déjà actives? Vous avez aussi dit que vous alliez les élaborer avec le gouvernement ou que le futur gouvernement allait les élaborer. Qu’en est-il actuellement pour le système provisoire mis en place et imaginé par l’IBPT?
Ensuite, sur l’aspect plus définitif, j’ai lu que la France avait voté ou allait voter une loi qui in fine donne une forme d’autorisation au ministre responsable ou au premier ministre quant au choix des opérateurs. Pensez-vous à un système tel que celui-là? Là, on est vraiment dans la sécurité absolue. Vous trouverez peut-être que c’est très interventionniste mais le gouvernement Macron n’est a priori pas un gouvernement de ce type. Comptez-vous imposer une autorisation ministérielle finale?
Philippe De Backer, ministre: Je pense que les opérateurs qui estiment pouvoir faire une offre lors de la mise aux enchères définitives seront les premiers à s’inscrire pour l’achat des licences provisoires. Ils n’ignorent pas que les problèmes de sécurité font actuellement l’objet de discussions. Nous leur avons déjà conseillé de faire preuve de prudence et de réfléchir à la question de leur côté. Ils doivent procéder eux-mêmes à des exercices afin de déterminer comment ils souhaitent régler les questions de cybersécurité dans un environnement 5G.
À titre personnel, je ne suis pas un adepte des ristournes. Les coûts afférents à l’utilisation d’une fréquence 5G sont constitués de deux éléments, à savoir un paiement unique à l’issue des enchères et les frais administratifs liés à l’utilisation annuelle.
Je ne suis pas l’auteur de la proposition visant à investir directement la part ne revenant pas aux Régions et aux Communautés dans l’écosystème 5G. Nous en avons étudié la faisabilité. Dès lors qu’il s’agit d’une mesure générique, ce n’est pas une aide d’État. Tous les secteurs et les acteurs peuvent y souscrire.
Il est important de prendre les mesures qui s’imposent en attendant la solution définitive que constitue la mise aux enchères. La consultation des opérateurs est la première étape, avant les discussions en Conseil des ministres et au Comité de concertation. Je m’y investirai beaucoup dans les semaines à venir. J’espère pouvoir compter sur la coopération des divers gouvernements. L’enjeu dépasse les clivages politiques et est indépendant de la question des affaires courantes. L’attribution des fréquences par un gouvernement d’affaires courantes ne pose d’ailleurs aucun problème. L’étude sur l’utilisation des médias, qui sera disponible dans les semaines à venir, révélera par exemple que la concrétisation devra être différente en Flandre qu’ailleurs. Plutôt que de patienter, je préfère examiner plusieurs pistes en parallèle et les faire remonter aussi rapidement que possible au Comité de concertation afin de débloquer ce dossier.
En ce qui concerne la sécurité, vous avez raison. La Commission européenne nous demande quelques éléments, qui sont déjà prêts et qui seront transmis à la suite des rapports faits par l’IBPT avec nos services de sécurité. Au final, il reviendra au Conseil national de sécurité de prendre une décision. C’est le plus faisable pour le moment. Nous ne sommes pas dans un système présidentiel. Je ne me considère pas comme un président. Mais je pense qu’il s’agit d’une décision prise avec tous les services et les responsables politiques autour de la table. C’est une décision nécessaire pour la sécurité pour notre pays, et que nous pouvons prendre même en affaires courantes.