Ce mercredi 15 juin 2022 , j’interpellais à nouveau les ministres de l’Intérieur et de la Justice quant à l’état de la police judiciaire!
Je reconnais être interpellée par vos différentes interventions quant à la réponse à apporter à la police judiciaire au sujet des demandes répétées non seulement de sa direction mais également des hauts magistrats.
Si vous avez tout fait, pourquoi continue-t-on à demander des moyens complémentaires? Je ne pense pas que des hauts magistrats viennent presque s’humilier devant le Parlement avec des photos de corps mutilés, des échanges de messageries entre bandes organisées, qui mettent en cause directement des magistrats ou des policiers, simplement pour un caprice ou parce qu’il faudrait des moyens complémentaires par principe.
Je pense que s’ils sont venus, c’était un vrai appel et ce que vous avez énoncé, vous l’énoncez depuis quelques mois. Ce sont toujours les mêmes réponses: « On n’a jamais autant investi dans la police, on n’a jamais autant investi dans la Justice et on fait ce qu’on peut! »
Ici, on parle de 35 millions d’euros notamment. Je trouve que cela relève de l’indécence de « revendre » des choses qui nous ont été vendues à plusieurs reprises sur la police et la Justice sans apporter une réponse au sujet des 35 millions complémentaires demandés de manière récurrente par la police judiciaire et les hauts magistrats.
Cette fois, s’agissant des budgets, vous avez eu l’honnêteté de dire que si, effectivement, il y a des investissements dans la police et que vous héritez d’une situation que vous n’avez pas voulue – je rappelle que chacun de vos partis étaient dans la coalition précédente, nuançons le propos! –, vous réalisez dans le même temps 212 millions d’euros d’économies linéaires sur la police!
On n’a toujours pas compris pourquoi, dans un temps, vous refinancez et, dans le même temps, vous faites des économies linéaires. On n’a toujours pas compris cela! C’est vrai que cela reste quelque part quelque chose que vous ne priorisez pas. Vous ne dites pas: « Sur la justice et sur la police, nous ne ferons pas d’économies du tout. » C’est pourtant ce que le gouvernement avait fait, non pas le précédent mais celui d’avant. La justice et la police étaient immunisées de toute économie linéaire.
Je tiens aussi à vous rappeler qu’en 2014, comme vous l’avez d’ailleurs rappelé pour partie, il y avait, au sein de la police judiciaire, 4 485 unités et M. le ministre de la Justice a dit, fin avril 2022, que nous étions à 4 408. Nous sommes donc plus bas qu’en 2014.
Il est vrai que, pour partie, vous récupérez une situation du passé. Non seulement, nous sommes plus bas mais les hauts fonctionnaires de police sont venus nous expliquer combien leur métier avait changé avec évidemment les phénomènes de terrorisme, de cybercriminalité, de criminalité organisée qui se déploie de manière extrêmement rapide à tous les niveaux de l’État et toutes les nouvelles missions qu’ils sont amenés à exécuter sans les moyens nécessaires non seulement humains mais aussi techniques car il s’agit évidemment d’enquêtes de pointe qui nécessitent du matériel très spécialisé.
Lors de cet exercice budgétaire, de cet ajustement, nous avons à nouveau déposé des amendements sur l’ajustement budgétaire. Alors, si au mois de janvier, on pouvait encore hésiter sur le fait que le gouvernement n’était pas au courant qu’il y avait besoin de moyens pour la police judiciaire, ici, au mois de juin, il n’y a plus aucun doute. Les demandes ont été répétées par le Collège des procureurs généraux, par la police judiciaire et par un certain nombre d’autres magistrats qui tirent la sonnette d’alarme depuis de nombreux mois. Pourquoi ne pas avoir intégré, dans cet exercice budgétaire, la demande complémentaire de 35 millions d’euros?
Nos amendements portent exactement sur cela.
Nous ne voulons pas commencer à faire du show en disant qu’il faut plus. Les magistrats demandent 35 millions d’euros. Nous avons déposé un amendement qui jusqu’alors a été refusé en commission par la majorité actuelle.
Peut-être que d’ici au moment où l’ajustement passera en séance, il y aura une forme de réflexion sur le fait que ces 35 millions d’euros sont une petite somme dans un budget de la police judiciaire fédérale qui est de 1 milliard. C’est peu aussi sur le budget de la police fédérale tout court qui est de 2 milliards. C’est assez peu.
Nos amendements portent sur les 35 millions et sur la suppression des économies linéaires qui sont faites cette année encore. Le troisième amendement porte sur la compensation totale de la NAPAP. Il faut savoir qu’il y a 4 millions d’euros enlevés à la police fédérale pour compenser la NAPAP, c’est-à-dire qu’ils vont chercher cela sur leur budget de personnel actuel.
Voilà l’objet de nos amendements. J’espère que le gouvernement et la majorité réfléchiront encore à ces trois amendements. Vous savez, si à un moment donné le gouvernement veut les déposer lui-même, je suis pour. Il ne s’agit pas de dire absolument que ce tous les Engagés qui ont déposé cet amendement. Cela n’a pas d’importance pour nous. Ce qui a de l’importance pour nous, c’est que la police soit bien dotée et qu’elle ne doive pas faire de tri dans les affaires à poursuivre. C’est cela qui est important pour nous.
D’autres l’ont dit: on parle de moyens complémentaires de 35 millions d’euros, mais on oublie souvent de dire combien ces enquêtes rapportent. On sait que l’enquête Sky ECC dont vous avez beaucoup parlé, à juste titre, a rapporté de l’argent. Avec le peu de moyens que la police judiciaire a, elle a fait des miracles dans ce dossier; cela a déjà permis de rapporter plus ou moins 75 millions d’euros. Ces 75 millions d’euros, c’est plus du double de ce que la police judiciaire réclame, à savoir 35 millions d’euros.
Je pense que notre police judiciaire a surtout besoin de considération. C’est cela dont on parle pour l’instant. Elle a été de tout temps, comme je l’ai dit lors d’autres séances, à d’autres personnes, le parent pauvre de la police fédérale dans son ensemble.
Elle l’a toujours été. On a considéré qu’ils s’en sortaient bien comme cela et qu’il fallait s’en accommoder. Or, en l’espèce, nous parlons d’autre chose. Ce n’est plus le parent pauvre, mais le parent complètement nu et précarisé, faute de moyens suffisants.
La considération passe évidemment par des moyens, du personnel complémentaire, du matériel de pointe, mais aussi des bâtiments décents dans lesquels les policiers peuvent travailler. Si vous ne l’avez pas encore fait, je vous invite à aller visiter ceux de la PJ liégeoise: des arrêtés d’inhabitabilité planent sur ces locaux. Comment y réagit-on? Est-il logique que la police occupe un bâtiment insalubre? Je parle bien de la police judiciaire liégeoise.
Cette considération suppose donc des moyens, ainsi qu’un statut attrayant, combiné à la possibilité d’aller pêcher dans le secteur privé des talents dont on a besoin – pas uniquement des enquêteurs, mais également des profils très spécialisés qui sont nécessaires à des enquêtes de pointe lorsque, par exemple, la grande criminalité se déploie. Par ailleurs, cela nécessite aussi une véritable écoute. Je veux dire qu’il ne s’agit pas simplement de les écouter, mais de les entendre dans leur détresse qu’ils sont venus nous dévoiler en réunion de commission, ainsi que dans la presse. Je ne pense pas que des magistrats sortent de leur réserve pour jouer aux empêcheurs de tourner en rond. Ils sont véritablement venus nous décrire toute la détresse qui est la leur. Surtout, derrière ce phénomène, la criminalité organisée gagne du terrain, des affaires ne peuvent être poursuivies, des magistrats et des policiers sont menacés, des structures de l’État sont gangrenées par la corruption.
Bien entendu, c’est l’État de droit, dans son ensemble, qui est en péril lorsque manquent ces moyens supplémentaires et lorsque fait défaut cette écoute indispensable pour les policiers. Tout le monde s’émeut lorsque l’un d’entre eux est abattu au cours d’une intervention. Je voudrais que chacun s’indigne et éprouve la même émotion quand des magistrats viennent nous dire qu’ils n’en peuvent plus et qu’ils ne savent comment ils vont pouvoir poursuivre des affaires ou qu’ils doutent de l’État de droit.
Je voudrais que tout le monde ressente la même émotion et que l’on puisse entendre cette petite demande de 35 millions d’euros. Évidemment, vous avez fait des choses. Je ne suis certainement pas en train de dire que vous n’avez rien fait. Je dis que je n’ai rien entendu comme réponse spécifique à cette demande de 35 millions d’euros et que je ne comprends pas comment vous pouvez rester sourd ou passer à côté. Qu’est-ce qui bloque? Y a-t-il un parti de la majorité qui n’en veut pas? Nous devons le savoir au Parlement, en toute transparence.
Nous savons que les ressources ne sont pas inépuisables et qu’il y a des demandes dans tous les secteurs. Mais nous parlons ici de quelque chose qui rapporte de l’argent, mais aussi de quelque chose qui est en train de menacer nos institutions démocratiques. Cela n’a pas de prix, surtout quand il ne s’agit que de 35 millions d’euros.
Je dis que cela n’a pas de prix. Trente-cinq millions d’euros, c’est très peu par rapport aux principes fondamentaux qui sont sous-jacents à cette demande.