La justice est en crise depuis plusieurs décennies. Elle ne parvient plus à trancher ou faire trancher dans des délais raisonnables les affaires dont elle est saisie.
Pour faire face à cette crise, il est nécessaire de jouer sur de multiples leviers. Parmi ceux-ci figure le recrutement d’un nombre suffisant de magistrats de qualité.
Afin de remplir les cadres prévus par la loi – éventuellement revus en fonction de la mesure de la charge réelle de travail – et de faire face au départ à la retraite dans les prochaines années de très nombreux magistrats, il est essentiel que puissent être recrutés des magistrats en suffisance. Ce recrutement implique que des candidats se présentent en nombre et que leur sélection permette qu’ils correspondent au mieux aux besoins.
Le nombre de candidats est fonction de l’attractivité de la profession, tandis que la sélection doit être déterminée par rapport aux besoins de l’ordre judiciaire, tant au siège qu’au parquet.
- Attractivité de la profession
La crise de la justice a entraîné un déficit d’image des magistrats et une dégradation de leurs conditions de travail. Il est, en effet, devenu courant que les magistrats soient confrontés aux problèmes suivants dans le cadre de l’exercice de leur fonction:
- un outil informatique déficient alors qu’indispensable pour faire face aux défis de notre époque, une absence de formation à l’informatique, une déficience du réseau de maintenance ;
- une documentation en ligne insuffisante qui doit être palliée par un investissement financier personnel des magistrats ;
- une charge de travail rendue excessive par le refus de remplir les cadres prévus par la loi ;
- un personnel de greffe totalement insuffisant et donc un manque de suivi et de soutien dans le travail judiciaire ;
- des locaux vétustes, exigus, le défaut d’entretien et de sécurité mais aussi l’absence de locaux individuels, de salles de réunion, de bibliothèques dignes de ce nom ;
- un non-respect de la législation sur le bien-être au travail.
Le manque de moyens humains et en infrastructure crée de l’inconfort et une surcharge de travail. Les conséquences pour le personnel judiciaire en général – et les magistrats en particulier – sont multiples et diverses: une augmentation de stress, une baisse de la productivité, une perte de motivation, l’augmentation de l’absentéisme et des burn-outs. Cela génère un arriéré judiciaire endémique dans certains tribunaux ou cours d’appel.
L’effet boule de neige apparaît inévitablement puisque le personnel judiciaire qui reste est débordé, stressé, et est à risque de burn-out. Pour l’instant, de nombreux tribunaux et cours d’appel se retrouvent dans des situations inextricables et sont obligés de ne pas tenir leurs audiences par manque de magistrats et de subir dès lors un arriéré judiciaire totalement inacceptables pour les justiciables.
Force est de constater que différentes réformes, comme celles relatives aux pensions et aux arrondissements judiciaires, ont encore accentué le problème du manque d’attractivité de la profession de magistrat.
En effet, le passage du tantième préférentiel pour le calcul de la pension de 1/30e1 par année de service prestée à 1/48e pour les magistrats qui n’ont pas atteint l’âge de 55 ans au 1er janvier 2012 leur a été préjudiciable puisqu’elle a eu pour conséquence un allongement de la carrière de plusieurs années pour obtenir une pension complète ou, tout simplement, le fait que de nombreux magistrats n’y parviendront plus même en travaillant jusqu’à 67 ans.
Par ailleurs, si la réforme des arrondissements judiciaires – les faisant passer de 27 à 12 – permet sans doute de combler des vides temporaires dans l’une ou l’autre des chambres de l’arrondissement et des absences de magistrats spécialisés, un déplacement implique, toutefois, immanquablement, un vide dans l’entité où le prélèvement s’opère. À cela s’ajoute une surcharge
de travail pour le magistrat concerné en particulier s’il se voit attribuer une tâche supplémentaire à celle qu’il doit normalement assumer et/ou s’il se voit imposer des trajets qui peuvent être longs dans certains arrondissements (exemple: en province du Luxembourg).
Il en est résulté une diminution de l’attractivité de la profession de magistrats qui s’est manifestée par une nette tendance à la baisse du nombre de participants aux examens et concours de recrutement des magistrats:
- pour l’année judiciaire 2010-2011, il y a eu 810 participants ;
- pour l’année judiciaire 2015-2016, il y a eu 779 participants ;
- pour l’année judiciaire 2016-2017, il y a eu 671 participants ;
- pour l’année judiciaire 2017-2018, il y a eu 608 participants ;
- pour l’année judiciaire 2018-2019, il y a eu 551 participants ;
- pour l’année judiciaire 2019-20209 , il y a eu seulement 527 participants.
2. Sur le plan européen (pays du Conseil de l’Europe)
Le rapport d’évaluation sur les systèmes judiciaires européens de la Commission européenne pour l’efficacité de la justice (CEPEJ) du Conseil de l’Europe met en lumière plusieurs situations en Belgique en comparaison avec les moyennes européennes.
En ce qui concerne le personnel, nous constatons que le système judiciaire belge accuse un déficit important de magistrats du siège comme du ministère public et du personnel judiciaire en comparaison avec la moyenne des États membres du Conseil de l’ Europe.
Ainsi pour 100 000 habitants, en Belgique on dénombre:
- 13,3 juges professionnels pour 17,7 en moyenne européenne ;
- 7,7 procureurs pour 11,2 en moyenne européenne ;
- 43,5 de personnel judiciaire pour 60,9 en moyenne européenne.
En revanche, le nombre de dossiers entrant dans le système judiciaire est soit dans la moyenne européenne, soit largement supérieur (par exemple, les affaires civiles en première instance ou les affaires pénales en première instance).
3. Sélection des candidats magistrats
Les épreuves de sélection organisée par le Conseil supérieur de la Justice sont extrêmement exigeantes et sélectives pour les trois voies d’accès à la magistrature (à savoir le concours d’admission au stage judiciaire, l’examen d’aptitude professionnelle et l’examen oral d’évaluation).
On constate une baisse importante du nombre de candidats, d’une part, et un taux de réussite aux épreuves resté assez bas, d’autre part.
Différents éléments peuvent expliquer ce faible taux de réussite:
- le caractère très général des épreuves, ce qui implique que beaucoup de candidats expérimentés et spécialisés ne disposent ni des connaissances ni de l’expérience nécessaires pour être performants sur l’ensemble des matières abordées en raison de la spécialisation croissante des professions juridiques;
- l’organisation des épreuves qui ne reflète pas les conditions de travail de la plupart des professionnels du droit qui utilisent les outils informatiques pour assumer leur mission, alors que ceux-ci ne sont pas à disposition lors des épreuves.
L’objet de la présente proposition de résolution est d’inviter le gouvernement à mettre en œuvre, avec le concours de l’ensemble des autorités compétentes, une série de mesures destinées à rendre la profession de magistrat plus attractive et à sélectionner suffisamment de magistrats correspondant aux besoins en spécialisant davantage les épreuves.
Rendre la profession de magistrat plus attractive
Les conditions de travail des magistrats doivent être améliorées de telle manière qu’ils puissent exercer leur fonction dans des lieux de justice dignes et disposer de bons outils de travail tels que l’accès à tous les sites de doctrine et de jurisprudence ainsi que des outils informatiques performants (imprimante, scanners, logiciels actuels, etc.).
L’informatisation du monde de la justice, dont la numérisation des dossiers judiciaires, constitue également une priorité pour gagner en efficacité.
En outre, les cadres doivent également être revus en fonction de la charge de travail réelle compte tenu des départs à la retraite mais également des nombreuses absences pour maladie, afin de supprimer les conséquences délétères, en ce qui concerne l’organisation et le fonctionnement de la justice, liées à la surcharge de travail.
Dans l’attente de cette évaluation de la charge de travail selon une méthode acceptée par tous, les cadres devront être comblés totalement et même augmentés. Il y a lieu également de restaurer, au sein des cours et tribunaux, une ambiance de travail constructive.
Enfin, l’adoption d’un statut social moderne, loin d’un fonctionnariat mais incluant un juste équilibre entre les charges liées aux spécificités de la fonction et la vie privée, constitue un élément indispensable à l’attractivité de la profession. En effet, la fonction ne permet pas actuellement de concilier vie professionnelle et vie privée faute de dispositifs d’aménagements du temps de travail, de congés thématiques, de vacances, de suspensions momentanées de carrière, d’absences pour maladies d’enfants, d’aménagements de fin de carrière, etc.
Rendre la sélection plus ciblée sur les besoins en spécialités
La procédure de sélection doit être réexaminée afin d’augmenter substantiellement le nombre de lauréats pouvant être nommés ou désignés selon le cas sans porter atteinte à la qualité de la justice rendue. Il s’agit de permettre le recrutement de candidats plus spécialisés afin de rencontrer des besoins spécifiques des tribunaux.
Dans cette optique, il est proposé de faire coexister deux procédures visant à sélectionner:
- des juges spécialisés :
Des épreuves seraient mises sur pied ayant pour objet des matières spécialisées traitées par les tribunaux: police, fiscal, pénal, civil, travail, sécurité sociale, familial, jeunesse, etc. pour répondre aux besoins de ces tribunaux et chambres spécialisés.
Les épreuves devraient évaluer la connaissance et l’expertise dans les matières indispensables à l’exercice des fonctions spécialisées auxquelles elles donneraient accès. La mobilité pleine et entière dans la spécialité, la mobilité moyennant formation et/ou épreuves hors de la spécialité.
Les promotions ou la mobilité seraient subordonnées à des formations et/ou des épreuves internes supplémentaires si elles impliquent des compétences supplémentaires.
- des juges “tout-terrain”:
Cette épreuve donnerait accès à toutes les fonctions. Elle correspondrait aux épreuves actuelles. Par ailleurs, les deux catégories d’épreuves devraient également être organisées dans des conditions reflétant la réalité des conditions de travail actuelles des professions juridiques. Elles devraient ainsi se dérouler avec des outils informatiques et accès à de la jurisprudence.
Les juristes de parquet et les référendaires et les juges suppléants sont des juristes qui ont été recrutés après des examens pointus. Leur expérience de terrain est importante et doit pouvoir être valorisée s’ils souhaitent accéder à la magistrature. Des accès facilités à cette fonction doivent être prévus car ils constituent certainement une réserve riche et compétente moyennant
l’évaluation de leur supérieur.
Enfin, il y aurait lieu d’accélérer les évaluations et les délais de fixation des examens pour diminuer le temps écoulé entre les premières inscriptions aux examens et la prise en fonction des magistrats.