Dans le cadre des discussion sur le projet de loi du futur Code Pénal, j’ai déposé un amendement visant à créer l’infraction d’un homicide routier.
Vanessa Matz est par contre bien plus persuadée du fait qu’un autre de ses amendements sera accepté. Le nouveau Code pénal prévoit d’éradiquer la prévention d’homicide involontaire par défaut de prévoyance et de précaution en matière routière. Le drame de Strépy en mars 2022 (6 morts et 39 blessés) a frappé les esprits : “Entendre qu’il s’agirait d’un homicide involontaire est insoutenable pour les familles” , rejoint la députée. Le nouveau Code parle donc plutôt d’ “accident de roulage mortel” . Pour Vanessa Matz, aucun des deux termes ne convient. “Quelqu’un qui tue pour des raisons de vitesse excessive, de consommation de drogue ou d’alcool, ce n’est pas un accident. Ce terme ne soulagera pas plus les victimes.” Elle propose donc de parler “d’homicide routier” .
Actuellement, “l’homicide involontaire” par défaut de prévoyance prévoit de trois mois à cinq ans de prison. Le nouveau Code pénal prévoit pour “l’accident de roulage mortel” une peine de niveau 3, c’est-à-dire de trois à cinq ans de prison. Vanessa Matz demande pour “l’homicide routier” une peine de niveau 4, c’est-à-dire de cinq ans à dix ans de prison. “Au niveau 3, un juge pourrait revenir à 1 via des circonstances atténuantes. À ce stade, il n’y aurait pas peine de prison.”
La DH
Selon Statbel, l’office belge de statistiques, en 2022, on a dénombré 37.643 accidents de la route faisant au total 46.074 victimes, dont 42.134 blessés légers, 3.400 blessés graves et 540 personnes, dont 102 cyclistes, ayant perdu la vie dans les 30 jours suivant l’accident.
L’alcool et les drogues ou la vitesse excessive en sont bien souvent la cause. En effet, selon l’Institut pour la sécurité routière Vias, le comportement des conducteurs reste l’élément déterminant des accidents, à commencer par la vitesse excessive. Chaque année la vitesse tue environ 150 personnes. Le porte-parole de l’Institut Vias précisait encore: “Quand un piéton est heurté par une voiture qui va au-delà de 80 km/h, la chance de survie est infime.”
En ce qui concerne la conduite sous influence de l’alcool, le pourcentage de conducteurs sous l’influence de l’alcool à des endroits et des moments aléatoires est de 1,9 % en Belgique, soit l’un des plus élevés d’Europe. Plus d’une centaine de personnes meurent dans des accidents dus à l’alcool chaque année.
En ce qui concerne les stupéfiants, l’on manque d’informations précises quant aux décès mais l’enquête Esra2 de 2019 à propos de la prévalence autodéclarée de la consommation de drogues au volant, renseignait qu’en Belgique 7 % de conducteurs interrogés indiquaient avoir conduit dans l’heure après avoir consommé des drogues au moins une fois au cours des 30 derniers jours.
Concernant les neufs premiers mois de l’année 2023, 3.027 accidents impliquant un conducteur sous influence ont été enregistrés, toujours selon les chiffres de l’Institut Vias. Soit une moyenne de 12 accidents par jour, un toutes les deux heures. Selon le directeur de la police fédérale de la route, l’augmentation de la conduite sous influence de la drogue est encore plus préoccupante. Sur plus de 420.000 conducteurs contrôlés en 2022, 3 % étaient positifs à un stupéfiant, pour 1,80 % à l’alcool. L’Agence wallonne pour la Sécurité routière (AWSR) rappelle que la consommation de drogue et/ou d’alcool lève les inhibitions entraînant une conduite plus risquée, rétrécit le champ visuel diminuant la perception des dangers, augmente le temps de réaction, diminue les réflexes et enfin accroît le risque de somnolence.
S’il faut bien entendu agir d’abord pour renforcer l’éducation et la prévention de manière globale sur le sujet, il convient également que la réponse pénale soit mesurée et en adéquation avec les faits dont il est question. Le Code pénal actuel range ce type d’évènements sous la qualification d’homicide involontaire. Le projet de Code pénal vise, quant à lui, la qualification d’accident de roulage mortel. Ces deux appellations nous paraissent inadéquates en regard de l’implication délétère du comportement de certains conducteurs. On pense à ceux qui contribuent, singulièrement en consommant de l’alcool ou de la drogue ou en roulant à une vitesse démesurée, à créer des conditions extrêmement dangereuses pour la vie d’autrui.
Retenir le terme “involontaire” ou simplement “accidentel” ne tient pas compte à suffisance du comportement actif des personnes à l’origine de ces décès. Des voix se sont élevées appelant à transformer ce type d’infractions en homicides volontaires.
En Angleterre et au Pays de Galles, dans presque tous les États des États-Unis, ainsi qu’aux Pays-Bas, l’homicide commis par un automobiliste constitue une infraction spécifique.
En France, récemment une évolution législative, portée notamment par des associations de victimes, a amené à adopter le terme “homicide routier”.
L’adoption d’une terminologie similaire nous semble correspondre de manière plus adéquate à la réalité du terrain.
Peut-on continuer à considérer, comme le fait le projet de Code Pénal, que la personne qui roule à du 160 km/h sur une route limitée à du 50 km/h et percute un groupe de gens, se trouve dans un contexte uniquement “accidentel”? Doit-on considérer que la personne qui consomme de la drogue et/ ou de l’alcool en grande quantité et vient percuter un véhicule circulant en sens inverse occasionnant le décès de plusieurs personnes, est confrontée uniquement à un hasard ou une malchance?
Dans le terme “accidentel” tel qu’actuellement prévu par le projet de Code Pénal, se développe le concept qu’il s’agirait simplement d’un accident. Cependant, l’accident dans sa conception commune implique qu’il soit fortuit, arrive par hasard ou de manière imprévue, inattendue ou non conforme à ce que l’on pouvait prévoir.
Ce n’est pas du tout le cas dans les situations visées. Les termes “homicide routier” permettent de rappeler à la fois la gravité des conséquences ainsi que la gravité du comportement adopté sur la route. Ces termes invitent à une meilleure prise de conscience des auteurs, ou auteurs potentiels, et des conséquences de leurs agissements irresponsables. Une telle définition est davantage en phase avec le ressenti des familles des victimes confrontées à ces drames.
Si, à l’heure actuelle, les procédures judiciaires peuvent être vécues comme des traumatismes, l’adaptation des termes doit amener également plus de cohérence avec le vécu de ces familles endeuillées. La mère d’une victime de la route française rappelait encore en début d’année 2023 combien l’utilisation du terme “involontaire” lui était “insupportable”. Pour elle, en buvant de l’alcool ou en consommant de la drogue, les chauffards doivent être responsabilisés car ils ont “une véritable arme entre les mains”. C’est pourquoi “la loi doit évoluer” en instaurant la qualification d’“homicide routier”. La même incompréhension apparaît régulièrement dans notre pays, notamment lorsque les familles doivent s’entendre dire qu’il s’agit d’un “accident”.
L’utilisation des mots “homicide routier” est d’autant plus cohérente que, dans son développement, le nouvel article 107 en projet précise qu’il vise un homicide. Le présent amendement vise donc à modifier l’appellation de cette infraction.
Quant au corps du texte du nouvel article 107, et pour les mêmes raisons, les termes “collision routière” seront préférés aux termes “accident de roulage”.
Comme dans le sens utilisé jusque-là, ces termes n’impliquent pas forcément la collision entre deux véhicules mais peut également viser le fait pour un automobiliste de percuter un piéton. Elle reste dans le contexte non intentionnel, le conducteur qui foncerait sciemment sur quelqu’un tombant sous le coup d’autres articles du Code pénal.
La peine: Une simple modification de l’appellation ne nous apparaît pas suffisante. Il faut donc également prévoir une révision de la peine ce qui fait l’objet d’un troisième amendement.
Le Code pénal actuel prévoit à son article 419 que: “Art. 419. Quiconque aura involontairement causé la mort d’une personne sera puni d’un emprisonnement de trois mois à deux ans et d’une amende de cinquante euros à mille euros. Lorsque la mort est la conséquence d’un accident de la circulation, l’emprisonnement sera de trois mois à cinq ans et l’amende de 50 euros à 2.000 euros.”
Le projet en discussion prévoit, en son article 2, d’instaurer les articles 106 et 107 du Code pénal, Livre 2, rédigés comme suit:
“Section 2. L’homicide par défaut grave de prévoyance ou de précaution
Art. 106. L’homicide par défaut grave de prévoyance ou de précaution
L’homicide par défaut grave de prévoyance ou de précaution est puni d’une peine de niveau 2. Art. 107. L’accident de roulage mortel L’homicide par défaut grave de prévoyance ou de précaution dans le cadre d’un accident de roulage est puni d’une peine de niveau 3.” Ce faisant, le projet de nouveau Code pénal soustrait de l’examen pénal les accidents mortels liés à des fautes légères. Il appartiendra désormais aux Tribunaux civils de statuer sur la question, ce qui apparaît une bonne évolution aux auteurs du présent amendement.
Pour rappel, la peine de niveau 3 correspond à une peine de 3 ans à 5 ans de prison au plus ou d’un traitement sous privation de liberté de plus de deux ans à quatre ans au plus. En cas d’admission de circonstances atténuantes, il permet de passer au niveau 2 ou au niveau 1 de peine.
Nous estimons qu’il serait préférable d’élever le niveau de la peine au niveau 4, soit un emprisonnement de 5 ans à 10 ans au plus (ou un traitement sous privation de liberté de plus de quatre ans à six ans au plus), l’admission de circonstances permettant de passer au niveau 3 ou 2 de peine. On est ici face à une infraction aux conséquences gravissimes: la perte d’une vie.
Dans l’équilibre et la logique interne du nouveau Code pénal, ce passage au niveau 4 nous semble justifié, notamment au regard des infractions régies par les nouveaux articles 320 à 322 et 197. L’article 320 prévoit, en cas d’entrave à la circulation entraînant une atteinte à l’intégrité du deuxième degré, une peine de niveau 3. L’article 321 prévoit, en cas d’entrave à la circulation entraînant une atteinte à l’intégrité du troisième degré, une peine de niveau 4. Quant à l’article 322, l’entrave à la circulation entraînant la mort, sans intention de la donner, prévoit une peine de niveau 5. L’article 197, prévoit quant à lui, que les actes de violence ayant entraîné la mort, sans intention de la donner, sont punis d’une peine de niveau 4.
L’utilisation dans l’ancien Code pénal du mot “involontaire” pouvait amener une certaine confusion. Si le décès d’une autre personne n’est sans aucun doute pas l’objectif de ces conducteurs, leurs comportements liés à la consommation de drogues et/ou d’alcool préalable à la prise du volant sont volontaires. L’usage d’un véhicule dans ces conditions est également volontaire. Le projet de loi tel que soumis vise spécifiquement les défauts graves de prévoyance ou de précaution. Il semble donc équitable aux auteurs du présent amendement d’aligner la peine sur celle prévue pour des actes volontaires, comme les actes de violence ayant entraîné la mort sans intention de la donner.
On reste pour autant mesuré, car encore loin de la peine de niveau 7 (emprisonnement de plus de vingt ans à trente ans au plus ou d’un traitement sous privation de liberté de plus de seize ans à dix-huit ans au plus) prévue pour meurtre, soit l’homicide volontaire.
Au vu des chiffres importants mentionnés supra, on peut considérer que les homicides routiers constituent, malheureusement, une phénomène de société bien trop important qu’il convient absolument de réprimer pénalement à leur juste hauteur.
La Cour Constitutionnelle a d’ailleurs validé ce type de raisonnement encore récemment dans son arrêt n° 123/2021 du 30 septembre 2021 sur une question préjudicielle de la Cour de Cassation: “Il appartient au législateur, spécialement lorsqu’il entend lutter contre un fléau que d’autres mesures préventives n’ont pu suffisamment endiguer jusqu’ici, de décider s’il convient d’opter pour une répression plus stricte à l’égard de certaines formes de délinquance, et/ou s’il y a lieu de prévoir des mesures alternatives en vue de renforcer la sécurité routière. Le nombre d’accidents de la route et les conséquences de ceux-ci justifient que les personnes qui compromettent la sécurité routière fassent l’objet de procédures et de sanctions appropriées.” et “L’augmentation significative de la peine maximale prévue en cas d’homicide involontaire dans le contexte d’un accident de la circulation est aussi une mesure pertinente à la lumière des objectifs de sécurité routière et de responsabilisation des conducteurs de véhicules à moteur poursuivis par le législateur.”. Et encore “La volonté du législateur de lutter contre la prise de risques inconsidérés au volant qui peuvent entraîner des conséquences dramatiques justifie une peine maximale élevée. À cet égard, ce n’est pas tant le fait que l’auteur n’ait pas voulu les conséquences de son comportement pour la victime qui est pertinent, mais plutôt le fait qu’il aurait probablement pu éviter ces conséquences en adoptant un style de conduite plus raisonnable. Une peine qui vise à changer la mentalité des usagers de la route ne peut être utile que si elle est suffisamment dissuasive.”
Enfin, si l’on regarde la hauteur des peines prévues pour ce type d’infractions dans d’autres pays, on constate qu’une peine de “base” de 5 à 10 ans s’inscrit dans une certaine norme. Aux Pays-Bas, la durée maximale de la peine de prison est portée à neuf ans lorsque le conducteur à l’origine de l’accident mortel, soit conduit en état d’ivresse ou sous l’influence de substances qui altèrent sa vigilance au volant, soit dépasse “de façon sérieuse” la limite de vitesse.
En Angleterre, la peine maximale est de 10 ans, voire peut-être à vie dans certains cas. En France, le récemment nommé “homicide routier” est assorti d’une peine maximale
de 5 ans lorsqu’il est lié à une maladresse, une imprudence ou une inattention. Cette peine maximale s’élève à 7 ans en présence d’une circonstance aggravante et jusqu’à 10 ans s’il y en a deux ou plus. Parmi les circonstances aggravantes prévues par la loi française, on retrouve notamment: le taux d’alcoolémie, l’usage de substances stupéfiantes, l’absence de permis, le dépassement de la vitesse maximale autorisée ou le fait d’avoir fui les lieux après l’accident. En revanche, comme en Belgique actuellement, en Allemagne, en Espagne ou en Italie, la peine maximale est de 5 ans. Dans ce dernier pays, la peine peut toutefois monter à 10 ans s’il y a un ou plusieurs tués et des blessés.
Si l’amendement vise à relever le niveau de la peine au niveau 4, il est néanmoins fondamental de garder à l’esprit que le juge pourra et devra toujours examiner in concreto la situation d’un auteur poursuivi. Il apparaît évident aux auteurs du présent amendement que pour certaines situations, comme c’est prévu de manière générale dans le projet de Code pénal, le juge pourra appliquer des circonstances atténuantes et réduire la peine.
Avec la nouvelle construction des peines prévues par le Code pénal, moyennant des circonstances atténuantes, le juge pourrait, si la situation s’y prête, réduire une peine au niveau 3 (3 à 5 ans) ou 2 (6 mois à 3 ans) ainsi que prévoir des peines alternatives, telles que des conditions d’abstinence et de suivi par rapport à la drogue/l’alcool, de formation routière, d’interdiction de conduite d’un type de véhicule, etc.
L’amendement proposé laissera donc l’opportunité d’une réelle appréciation du juge, au cas par cas, afin d’établir la peine la plus juste.