Je signe ce matin une carte blanche dans le journal l’Echo sur la nécessité de mettre les 5 mois qui nous séparent des élections à profit pour développer une stratégie européenne, fédérale, régionale pour répondre à la triple crise que nous vivons: socio-économique, environnementale et géopolitique .
J’y plaide pour rendre, par des réformes radicales et réfléchies, nos sociétés plus sûres , plus efficaces et plus solidaires.
Oser se réapproprier la maitrise de l’avenir
Mis en ligne sur L’Echo le 9 janvier 2019
Mettons à profit les quelques mois avant les scrutins de mai pour réfléchir et délibérer sur une stratégie régionale, fédérale et européenne pour répondre à la triple crise dans laquelle nous sommes entrés : environnementale, économique et sociale.
La Belgique peut-elle s’offrir le luxe de passer les cinq prochains mois à se regarder le nombril sans oser entreprendre la moindre réforme, l’ombre des élections planant sur chaque protagoniste?
Mettons au moins ces mois précieux , avant les scrutins de mai, à profit pour réfléchir et délibérer sur une stratégie régionale, fédérale et européenne pour répondre à la triple crise dans laquelle nous sommes entrés : environnementale avec la dégradation du climat, économique et sociale avec la perte de contrôle du capitalisme global en panne de croissance et dangereusement inégalitaire, et enfin géopolitique avec les migrations amenées par la déstabilisation du Moyen-Orient, la pression russe sur l’Ukraine, les pays baltes et les Balkans, et surtout l’ombre de la confrontation entre la Chine et les Etats-Unis qui grandit sur le monde.
A la manière Macron ?
Le plus urgent, et politiquement le plus critique, est bien entendu la crise sociale. Prenons garde de ne pas nous tromper, ni sur son ampleur véritable, ni sur les remèdes à y apporter. On peut d’abord voir les choses à la manière de Macron : la pression de la rue se fait sédition ; l’ordre institutionnel est menacé ; lâchons du lest en catastrophe, soit 10 à 15 milliards pour le relèvement du Smic, et pour des détaxations diverses, en maintenant toutefois la suppression controversée de l’ISF. On a gagné du temps , mais on n’a en rien amorcé une dynamique de redressement On peut voir les choses sur le temps long et remonter plus en amont dans la chaîne des causes et aller plus en profondeur dans les réponses à donner aux trois niveaux de pouvoir – européen, fédéral et régional- car ils sont tous les trois pareillement nécessaires.
La crise économique et sociale a foncièrement pour causes la mondialisation dont le progrès technique est indissociable, et, face à elle, la carence d’une Europe inachevée et bancale. Mondialisation, progrès technique et réponse européenne ont en effet leurs gagnants et leurs perdants. En gros l’Allemagne et les pays nordiques gagnent comme pays parce qu’ils combinent bonne spécialisation internationale et hauts niveaux de productivité tandis que les Pays du Sud sont à la traîne. La France et la Belgique sont entre les deux.
A l’intérieur des pays, les gagnants sont les gros épargnants qui ont les moyens de prendre des risques dans les pays émergents et dans les hautes technologies, et les travailleurs très qualifiés, en particulier les cadres à haut niveau et les dirigeants d’entreprises importantes. Les perdants sont les travailleurs non qualifiés et spécialisés, scotchés à leurs territoires. Ce sont aussi les classes moyennes qui redoutent le déclassement pour leurs enfants souvent pas assez formés.
Troubles sociaux à répétition
Si l’on prolonge ces évolutions dans le futur, on voit se creuser des failles entre pays de l’UE, et entre groupes sociaux au sein de nos pays. A terme, c’est la fracture de l’UE et ce sont des troubles sociaux à répétition à l’intérieur de nos pays, la première aggravant les seconds. La donne climatique vient encore compliquer les choses. On parle de réconcilier l’environnement et la justice sociale, la fin du monde et la fin du mois, mais nous ne savons pas encore comment nous y prendre. Certains économistes en viennent à questionner la compatibilité du capitalisme et du climat. Un capitalisme vert est-il possible ? Oui sans doute, mais pas sans réformes profondes !
Or, jusqu’ici nous avons exclusivement réfléchi dans le sens de nous ajuster aux exigences du capitalisme global, notamment par la priorité donnée à la compétitivité et en nous engageant imprudemment dans la course au dumping social et au moins-disant fiscal pour attirer et retenir les investissements étrangers. Par ailleurs, l’eurozone a été pensée avant tout pour stabiliser les prix et préserver notre compétitivité internationale tout en protégeant l’épargne, pas pour soutenir la croissance et l’emploi. Or la principale source de pauvreté et d’inégalité, c’est le chômage.
Ethique du capitalisme
Il nous faut aujourd’hui penser à changer notre système économique. Non pas à renverser le capitalisme, mais à le réguler pour le rendre tout à la fois plus stable, moins inégalitaire et plus soutenable. Il y va de la démocratie. Nous devons revenir à une éthique du capitalisme pour renforcer la cohésion de nos sociétés, et assurer la survie de la planète. Il faut en revenir aux fondamentaux du système et les questionner. Ainsi le profit doit être ramené à ce qu’il est : une contrainte pour la viabilité et le développement de l’entreprise, pas un but exclusif pour le seul enrichissement des actionnaires. L’entreprise concerne aussi les clients, les fournisseurs et surtout les travailleurs dont le seul capital, la capacité de travail, est investie à 100% dans l’entreprise. La fiscalité doit être juste , entre salaires et profits, entre firmes globales et PME, ce qui n’est pas du tout le cas en Europe à cause de la concurrence fiscale. Les dégâts à l’environnement doivent être incorporés dans les coûts de productions par des normes légales ou via des taxes. Les écarts pharamineux de salaires entre les plus hauts dirigeants et leurs travailleurs doivent être ramenés à des niveaux raisonnables. De même, il faut en finir avec l’hypertrophie de la finance qui sous prétexte de soutenir l’innovation se fait prédatrice et spéculative et menace la stabilité et la croissance de l’économie réelle.
Rendons par des réformes radicales et réfléchies, nos sociétés européennes plus sûres, plus efficaces et plus solidaires. Osons nous réapproprier la maîtrise de notre avenir.
Vanessa Matz