Une réflexion qui doit nous interpeller sur la flexibilité à outrance du travail… burn out, menace de la santé au travail. Etienne de Callataÿ nous donne sa vision sur la réduction du temps de travail, ses conséquences, ses risques… À méditer !
« Nous payons aujourd’hui une flexibilité excessive » (Étienne de Callataÿ)
Publié sur le journal L’écho en ligne – 18 février 2019
Entretien avec Étienne de Callataÿ, économiste en chef chez Orcadia Asset Management. Il porte un regard nuancé sur la tendance à vouloir sans cesse flexibiliser davantage le monde du travail.
N’a-t-on pas atteint les limites en matière de flexibilisation, vu le nombre de burn-outs?
Je pense que oui. Nous payons aujourd’hui une flexibilité excessive et une approche du management qui met trop la pression, estimant que ce serait nécessaire pour améliorer la productivité des travailleurs. En créant ce sentiment d’insécurité permanente, on génère du stress, ce qui est mauvais pour la santé mentale mais aussi pour l’économie. Lorsqu’on demande à des gens de repostuler pour l’emploi qu’ils occupent depuis 25 ans, comme s’ils étaient nouveaux dans la boîte, on va trop loin. Par contre, trop de stabilité n’est pas souhaitable non plus. Nommer des enseignants à vie par exemple n’est pas très sain.
Le télétravail n’est-il pas une arme à double tranchant? « On a choisi de privilégier la hausse du pouvoir d’achat par rapport à la réduction du temps de travail. »
Il peut y avoir des avantages à travailler de chez soi. Cela responsabilise le collaborateur car on lui fait confiance. Par contre, le fait d’être en permanence connecté n’est pas bon. Les gens gagneraient à se déconnecter le week-end. D’autre part, si c’est mieux de permettre le télétravail, il faut éviter de pousser le concept trop loin et de se retrouver avec des collaborateurs complètement séparés de leurs collègues. L’ambiance de travail peut également être quelque chose de stimulant.
Dans certains cas, les rigidités peuvent avoir des effets bénéfiques, dites-vous.
Parfois, un manager peut regretter certaines décisions prises de manière impulsive. Et une façon de ne pas agir de manière impulsive, c’est de s’imposer des rigidités. C’est comme Ulysse qui demande qu’on l’attache à un mât du bateau pour résister au chant des sirènes. Je donne un exemple. Si vous investissez dans la formation continuée de votre collaborateur et que le cadre de travail est trop flexible, il pourrait fort bien aller tout de suite postuler ailleurs sans possibilité de le retenir. Dans un monde où on change continuellement d’employeur, il y a une déperdition d’expérience. Dans certaines banques par exemple, on utilise encore le système Cobol. Vous avez alors intérêt à conserver certains collaborateurs seniors qui maîtrisent encore l’outil.
Oui et non. Travailler la nuit est moins bon pour la santé que travailler la journée. Il y a donc lieu de décourager le travail de nuit en le rendant plus onéreux pour l’employeur. Je rejoins les syndicats sur ce point. Par contre, ils gagneraient à se préoccuper de manière prioritaire de la santé des travailleurs. Trop souvent, c’est le pouvoir d’achat qui est mis en avant de manière exclusive. Par ailleurs, il y a une propension syndicale à privilégier des statuts qui ne sont pas souhaitables, principalement dans la fonction publique. Dans ce cas, ils s’arc-boutent sur une absence totale de flexibilité qui peut s’avérer dommageable.
Historiquement, le temps de travail n’a cessé de diminuer: peut-on encore aller plus loin, comme à la ville de Charleroi où on ne travaille plus que quatre jours payés cinq?
En 1930, Keynes avait prédit qu’avant la fin du siècle, on ne travaillerait plus que 15 heures par semaine grâce aux gains de productivité. Si cela ne s’est pas vérifié, c’est parce qu’on a choisi de privilégier l’augmentation du pouvoir d’achat par rapport à la réduction du temps de travail. Nous n’avons pas à juger de ce choix. Nicolas Sarkozy s’est rendu populaire en proposant de travailler plus pour gagner plus. Par contre, diminuer le temps de travail et maintenir la rémunération revient à augmenter le coût du travail. On aurait tout aussi bien pu proposer au personnel communal de Charleroi de continuer à travailler cinq jours par semaine mais d’être payé six jours.
Jean-Paul Bombaerts, Journaliste
Source : L’Echo