Faire l’expérience de la souffrance invalidante, c’est passer de l’autre côté du miroir et voir le monde autrement. Et d’abord la politique. Mes convictions, ma passion, mon engagement restent intacts. Comment pourrait-il en aller autrement. On ne se refait pas.
Mais je dois désormais compter avec mes limites. Le temps de l’activisme tous azimuts est derrière moi. Celui de l’action ciblée sur l’essentiel est devant moi.
Or, c’est justement d’essentiel que la politique à besoin. Voilà que mes contraintes physiques m’obligent à jouer en politique un autre rôle, celui justement dont la Politique manque cruellement et que nous devons combler.
C’est quoi l’essentiel aujourd’hui ? C’est le décrochage du politique par rapport aux grands enjeux de notre temps, ce qui mine sa crédibilité et, plus grave encore, sa légitimité. Car la mission de maîtriser le changement, tantôt d’y résister, tantôt de l’accompagner, voire de le susciter, reste centrale pour la survie des valeurs qui font l’humanité de nos sociétés. C’est là, la responsabilité du politique qui est l’instance ultime de gouvernance d’une société démocratique. Mais il lui faut être à la hauteur. Penser plus loin, plus large, plus haut surtout, en imposant l’éthique comme norme catégorique dans nos sociétés.
Nous sommes en train de vivre dans toutes les strates de nos sociétés des transitions majeures dans les thèmes aussi fondamentaux que les modèles économiques traversés par les révolutions du numérique, de la mondialisation, de l’IA, des changements climatiques, les modèles sociaux de redistribution des richesses et de l’émergence des nouvelles inégalités criantes qui expliquent aussi les montées des populismes et autres révoltes (gilets jaunes etc. ), la définition des nouvelles identités liées à la diversité et à la mobilité croissante de nos sociétés, les révolutions des modèles familiaux, du genre, de la parentalité et de la procréation.
Le temps m’est maintenant différent, je veux, au travers de mon engagement politique apporter autre chose que de l’immédiateté, qui mine la cohésion car elle est souvent dans les antagonismes avec un recul de compréhension et de pédagogie nécessaire aux citoyens et au final son désintérêt croissant pour la chose publique qui lui semble plus être plus une pièce de théâtre où les protagonistes s’étripent au gré de tweets, de phrases assassines qu’un véritable débat de fond qui lui permette de se faire une juste idée des enjeux sous-jacents au problème. Cette immédiateté doit aussi nous interroger collectivement sur le climat de populisme que nous créons en étant incapables de répondre aux vrais enjeux avec, cette impression que les citoyens ont des politiques qui passent à côté d’eux en étant autour et aux alentours de l’important, et qui ne servent au fond que leur égo. Refuser l’immédiateté, c’est aussi accepter que la notion de temps n’est pas la même et que la distance permet de voir plus loin, de manière plus juste.
Pour cela, je choisis une méthode et je m’attèle aux vraies priorités politiques.
A. Changer de méthodes politiques
Face à de tels changements, le Politique doit faire 5 révolutions pour retrouver son âme et son rôle de réelle guidance d’avenir et non de pure gestion du présent :
- Tout d’abord être en capacité d’appréhender et d’expliquer aux citoyens ces mutations complexes qui inquiètent. C’est sa première mission P comme Politique mais aussi comme Pédagogique. Or, la pédagogie et l’explication sont devenues les parents pauvres du discours politique et de celui des médias, tous deux plongés dans le tourbillon de l’immédiateté.
- Il doit ensuite prendre le temps d’analyser les mutations, de les mettre en perspective et y répondre par un réel projet visionnaire et mobilisateur à long terme qui accompagne et cadre le changement selon les valeurs de société qu’il prône. Après la pédagogie, la vision à long terme est le second parent pauvre de la politique actuelle en raison de cette addiction d’immédiateté qui empêche de rassurer, mobiliser, guider, pointer les opportunités, prendre garde aux dangers, adopter les solutions équilibrées adéquates qui humanisent les transitions, assurent la cohésion et évitent les populismes. Il faut donc non pas sortir de cette immédiateté qui doit aussi être gérée mais l’inscrire dans le développement parallèle du long terme, de la réflexion, de la distance, parfois du silence, la vision à long terme, l’anticipation, une certaine sérénité dans la réflexion, l’appréhension juste d’un problème, et de ses conséquences loin des buzz, des petits meurtres entre amis, des luttes d’égo, de la dépendance parfois aveugle des appareils.
- Cela demande en outre d’oser faire des choix et de les assumer avec courage, soit le contraire de la politique de suivisme des émotions changeantes du moment qui confond offre et demande. Nous sommes là pour dessiner une offre face à une demande et non surfer sur la demande sans oser y répondre.
- Au-delà de la pédagogie et de la vision à long terme et du courage, nous devons aussi fédérer. Nos sociétés croulent sous les clivages, droite contre gauche, nationaux contre étrangers, sud contre nord, religieux contre laïcs, jeunes contre anciens , femmes contre hommes, riches contre pauvres, ouvriers contre patrons… Fédérer, apaiser, réunir, équilibrer ce n’est pas être mou, faible ou naïf. Reconstruire une cohésion sociale, locale, sociétale, mondiale est une urgence pour éviter les éclatements, les conflits et les replis qui nourrissent les populismes.
- Enfin, la politique doit quitter le champs d’une certaine violence ou médiocrité interpersonnelle, arrêter de penser que la phrase qui tue est plus rentable que l’idée qui fait avancer, le geste qui soulage, l’émotion qui se partage. Faire de la politique avec empathie, « cette capacité à s’identifier à autrui dans ce qu’il ressent », c’est faire la politique que le 21ème siècle demande, c’est casser les codes, donner une autre image que celle d’un ring de boxe et c’est la clé de voûte d’une meilleure perception des besoins et qui est de nature à réconcilier le couple citoyens/ politiques.
Expliquer, analyser, avoir une vision à long terme, oser innover, fédérer, être empathique. Voilà ce dont la politique a besoin et voilà justement ce que je peux et veux offrir.
B. S’atteler aux vraies priorités : les inégalités
Mon objectif est donc de changer de méthode mais aussi de m’atteler aux vraies urgences
1.Les nouvelles inégalités sont sources de décrochage et de division
Nos sociétés sont désormais partagées par deux antagonismes. D’une part, les modèles sociaux, économiques, culturels, éducatifs hérités du passé tentent de perdurer. D’autre part, de nouveaux modèles visent à répondre de manière innovante aux défis actuels. Ceci entraîne forcément un clivage à dépasser dans la population entre ceux qui vivent la mondialisation heureuse et s’enthousiasme de la multiplication des échanges, des avancées technologiques et ceux, au contraire, qui vivent ces échanges avec anxiété car ils en sont exclus et s’ils ne sont pas accompagnés, sont sources d’inégalités.
L’exemple du numérique illustre parfaitement cette dualité entre ceux qui prennent le train en route et ceux qui restent sur le quai faute de connaissances, et/ou de moyens.
Les Gafam américains et leurs équivalentes chinoises – l’Europe n’en compte aucune – cumulent aujourd’hui une puissance économique et technologique qui les met en mesure de dicter leur loi aux marchés – ils peuvent racheter et relocaliser n’importe quelle entreprise, Start up ou géante – , et aux Etats en dictant les programmes de santé, d’enseignement, de recherche, en éludant l’impôt, en imposant leurs standards techniques d’inter-connectivité, en influençant les normes sanitaires, alimentaires, pharmaceutiques, environnementales.
Leurs avancées technologiques sont tantôt porteuses de progrès fantastiques, tantôt ouvrent des boites de Pandore en matière de génétique humaine, ou nous enferment dans leurs algorithmes et établissent autour de notre vie privée des réseaux serrés de surveillance et de collecte de big data.
Un autre exemple est aussi celui de la transition énergétique, qui ne pourra pas aboutir si nous ne revoyons pas fondamentalement notre modèle économique porteur d’inégalités. Cette transition est nécessaire mais nous devons nous donner les moyens de l’accompagner pour tout le monde, sans quoi, ce qui se veut et se doit être une révolution collective deviendra une dualisation plus grande encore de ceux qui ont les moyens de la mettre en œuvre et de ceux, qui faute de moyens, seront en plus culpabilisés de ce que leur quotidien ne leur permet pas d’avoir « les bons gestes ». Il est donc impératif de réfléchir, de penser cette transition écologique en l’accrochant à la question de la justice sociale.
Nous avons perdu la direction de nos sociétés et les repères techniques et éthiques de leur évolution. Allons-nous vers des sociétés duales avec leurs gagnants et leurs perdants, avec des régimes d’enseignement et de santé à deux vitesses ? Allons-nous vers des retraites insuffisantes pour soutenir nos aînés isolés ? Nous résignons-nous à la pauvreté des familles monoparentales, le plus souvent gérées par des mamans seules ? La facture écologique va-t-elle encore creuser l’écart entre riches et pauvres dans les domaines de la mobilité et du logement ? L’argent deviendra-t-il la mesure de toute chose dans la vie de tous les jours et dans toutes les activités des hommes et des femmes : le sport, la culture, le sexe, les rapports familiaux, l’accès aux addictions ? Renonçons-nous à rester une civilisation où la vie de l’esprit a sa part, où l’amour reste l’idéal ultime, la valeur la plus haute dans les rapports humains ?
2. Une réponse qui réconcilie au lieu d’opposer
Cette incertitude appelle une réponse humaniste : il faut accompagner et humaniser ces transitions, les préparer, les anticiper, pour ne pas les subir et pour y associer le plus grand nombre. Faire de la politique autrement aujourd’hui, c’est associer l’action politique concrète avec l’obligation de voir plus loin. C’est réconcilier ces fractures qui se creusent de plus en plus entre des catégories de la population qui ne se comprennent plus et qui entrent en résistance les unes contre les autres.
Les valeurs intangibles qui fondent l’Humanisme démocratique, doivent nous aider à inspirer nos choix politiques sur le long terme et à réconcilier les antagonismes : ces valeurs sont la fraternité, l’entraide, l’équité, le respect, la liberté, la responsabilité, le sens de l’effort, la dignité,
Pour moi relever ces défis appelle des percées sur le fond :
- une Europe politique, unie à l’échelle du continent et capable de peser dans le monde comme puissance géostratégique;
- la régulation du couple mondialisation et technologie pour l’assujettir à nos exigences de durabilité environnementale, de justice sociale et de respect des normes éthiques ;
- le courage d’une radicalité dans la pensée et dans l’action. L’humanisme du centre n’est pas le compromis entre des intérêts et des rapports de forces, c’est une synthèse de bien commun qui transcende les corporatismes et les conservatismes.
C. Une cellule de prospective pour accompagner le politique
Face aux bouleversements de civilisation qui sont en cours ou qui s’annoncent, et parce que le politique doit se réapproprier le débat en l’anticipant, je propose la mise en place d’une Cellule de Prospective qui peut travailler de manière autonome sur les grands défis énoncés : celui du numérique et de l’intelligence artificielle, celui de la transition écologique, celui des identités, de la démographie… sans tabous et sans cloisonnements entre la répartition des compétences et les sensibilités politiques. Elle pourra ainsi explorer les pistes les plus inédites aux enjeux décrits avec une vision large et sur le long terme qui soutiendra le politique dans les réformes qu’il doit entreprendre.
En France, leur bureau du plan s’est changé en « France Stratégie » et cet organe explore sur toute une série de sujets des pistes nouvelles pour répondre aux besoins nouveaux en publiant notamment des rapports à destination des politiques pour guider les choix, même les plus innovants et prévenir les dérives qui pourraient exister.
Le politique doit retrouver sa crédibilité et encore plus sa légitimité et pour ce faire, il doit se faire accompagner d’une expertise sur le long terme.
Pour conclure cette première contribution, je voudrais vous partager cet extrait du livre de Raphaël Glucksmann « Les enfants du vide-De l’impasse individualiste au réveil citoyen » qui illustre à mon sens parfaitement ce que nous vivons pour le moment, un vide, une superficialité que nous devons, collectivement combler en voyant plus loin et plus haut. Et si nous devons « mourir à nous mêmes », faisons-le, c’est notre seule chance d’ouvrir la voie à autre humanité qui réconcilie et qui est traversée de justice sociale et d’équité fiscale.
« Malgré les débâcles qui s’enchaînent, nous refusons de nous demander ce que nous avons bien pu rater pour être devenus si inaudibles. Pareil orgueil, risible par temps calme, devient suicidaire lorsque gronde l’orage. Pour gagner les batailles politiques et culturelles à venir, il nous faut d’abord comprendre pourquoi nous avons perdu les précédentes pour combattre les démagogues qui ont le vent en poupe, nous devons chercher les raisons de leur succès dans le vide qui nous entoure et souvent nous habite. Pour renaître de nos cendres, commençons par mourir à nous-mêmes. »
Vanessa Matz-Besoin d’essentiel Décembre 2018
Nous nous réjouissons de ton retour et nous te souhaitons le meilleur. Thierry et Nadia.