Une singularité de la Wallonie tient à sa géographie dominée par la ruralité, distances obligeant. La dispersion de l’habitat reste très forte en raison de la densité du réseau d’autoroutes qui permet aux ruraux de vivre au pays tout en travaillant à la ville, au prix de trajets parfois éprouvants toutefois. La vie à la campagne a un charme très particulier qui tient aux racines familiales, aux paysages et au rapport à la nature, et, là où les communautés restent vivantes, à une proximité et une qualité d’échanges que la ville, riche en bien d’autres possibilités, n’offre pas.
Mais notre société et singulièrement, la puissance publique, a du mal à reconnaître le droit des ruraux à l’égalité de traitement dans l’accès aux services publics et dans le maintien de certains commerces et services privés dont la faible densité de population obère la rentabilité.
Insensiblement on constate l’effilochage des liens qui relient la campagne à la ville, ce qui complique sensiblement la vie de tous, ceux qui n’ont pas de voiture et ceux qui doivent s’en servir pour n’importe quelle course ou formalité. L’accès aux écoles maternelle et primaire, à la gare de chemin de fer, au bureau de poste, aux services de soins de santé est plus compliqué de par ses distances. Les commerces de proximité se font plus rares aussi. Le choix des ruraux se réduit à l’isolement ou aux déplacements incessants en voiture.
Tous sont pourtant conscients et motivés à participer à l’effort collectif qui est demandé pour réduire nos émissions de gaz à effets de serre en délaissant par exemple leur véhicule pour un peu plus de marche à pied ou utiliser les transports collectifs.
Mais des récentes ou moins récentes décisions en provenance du gouvernement fédéral laissent les personnes habitant des territoires plus isolés dans une profonde perplexité quant à leur possibilité, eux aussi d’apporter leur pierre à l’édifice de la transition énergétique: hier, c’était les lignes de chemin de fer qui étaient menacées parce que moins rentables, ou encore les gares et leurs arrêts de proximité qui sont appelés à fermer, plus récemment ce sont les services du Ministère des finances qui ont déserté certaines petites villes pour rejoindre les centres urbains, et aujourd’hui ce sont les services de B-Post avec la suppression des boîtes rouges, la velléité heureusement vite abandonnée de faire payer les retraits d’argent (parfois il n’existe qu’un distributeur B-Post pour une entité) et enfin la peut-être non distribution à l’avenir des journaux et magazines à domicile. Tout ceci bien sûr avec en toile de fond et comme réponse si simple, le numérique et ses multiples possibilités. Mais c’est oublier que ce sont ces mêmes régions rurales touchées par la diminution des services publics qui font aussi les frais d’une mauvaise couverture internet, ce qu’on appelle dans le jargon administratif: les zones blanches.
SNCB, B-Post, Proximus, Ministère des finances… des services publics pourtant, des services au public encore plus. Si l’Etat a bien sûr le devoir, notamment comme actionnaire, de gérer en bon père de famille ses entreprises, il a aussi le devoir de ne pas se rendre coupable ou complice de discriminations flagrantes entre les citoyens qu’il doit servir, en les obligeant à réaliser des efforts importants qu’ils ne peuvent accomplir qu’au prix de nombreux kilomètres… en voiture. Si par le passé, la colère a parfois grondé dans certains territoires qui se sentent délaissés par la puissance publique, elle risque fort maintenant de s’amplifier alors que des efforts sont légitimement demandés à tous, car ces efforts seront doubles pour les «ruraux» quand aucune alternative n’existe.
Mais plus encore, il y a derrière ces discriminations à l’accès aux services publics et donc à la transition énergétique, un risque bien réel de divisions entre 2 modes de vie choisis ou imposés, ceux qui habitent en ville et ceux qui habitent à la campagne, un risque de fracture entre ceux qui peuvent faire les efforts souhaités et ceux qui ne le peuvent pas. Une des missions du service public n’est-elle pas, au-delà de ses fonctions administratives de proximité, de créer du lien social, de le renforcer pour plus de citoyenneté.
Comme humaniste, je ne peux me résoudre à laisser se fracturer notre société et à contempler ces inégalités-là comme une fatalité de la nécessaire rentabilité que notre société impose. Parce qu’elles aussi sont au cœur de la colère de la rue, et qu’elles doivent trouver des solutions: celles des pouvoirs publics qui réconcilient au lieu de diviser, celles des pouvoirs publics qui sont aussi aux côtés de ceux qui veulent mais qui ne peuvent pas, celles des services publics qui s’organisent entre eux pour «mutualiser les services» en collaboration avec les communes sans en reporter les charges sur ces dernières, celles des services publics qui se souviennent que leur mission première est d’être au service… du public.
Non seulement cela imposera aux pouvoirs publics de revoir cette politique de délitement de services mais probablement plus encore d’y investir massivement en jouant son rôle nécessaire de soutien de politiques de proximité qui pourront résorber cette fracture en renforçant la cohésion et le juste effort que chacun doit accomplir pour contribuer à un monde plus humainement soutenable.