Vanessa Matz (Les Engagés): Madame la ministre, depuis de nombreuses années, Child Focus s’inquiète et mène une course contre la montre pour lutter contre les images d’abus sexuels d’enfants en ligne.
Chaque seconde, au moins deux images d’abus sexuels d’enfants sont partagées en ligne. En 2022, la cellule Child Abuse a reçu 4 325 000 photos et un peu plus de 94 000 vidéos et 22 000 rapports des réseaux sociaux. Cette croissance du nombre d’images d’abus sexuels en ligne est d’autant plus inquiétante que les images sont de plus en plus explicites et les enfants de plus en plus jeunes. ²En mai 2022, la Commission européenne déposait une proposition de règlement européen visant à prévenir et à combattre l’abus sexuel en ligne.
Cette proposition doit maintenant être votée et invite fortement les Big Tech tels que META, TikTok, etc. à prendre leurs responsabilités quant aux images d’abus sexuels d’enfants qui circulent sur leurs plateformes. Selon Child Focus, « l’année dernière, le National Center for Missing & Exploited Children, organisation sœur de Child Focus, a transmis à Europol 1,5 million de signalements ayant un lien européen; 50 000 de ces signalements se rapportaient à la Belgique, dont 20 000 signalements ont fait l’objet d’une enquête par la police fédérale belge. Derrière chaque image se cache un enfant victime d’abus sexuel et grâce à ces signalements, les victimes peuvent être identifiées et protégées et les auteurs poursuivis ». D’où la nécessité d’une politique coordonnée au niveau européen.
Child Focus s’inquiète profondément du manque de soutien d’un certain nombre de pays au projet de règlement, y compris celui du gouvernement belge.
Madame la ministre, il semble, selon mes informations, que la Belgique soit un peu timide pour soutenir le projet de règlement européen.
- Quelle est la position du gouvernement belge par rapport à ce projet? De quels moyens disposons-nous pour combattre la diffusion d’images d’abus sexuels d’enfants en ligne?
- Quels sont les ressources et moyens utilisés par la police fédérale pour lutter contre ce phénomène?
- Quel est le budget consacré à la lutte contre la diffusion d’images d’abus sexuels d’enfants en ligne?
- Qu’en est-il de la collaboration avec les pays étrangers?
Annelies Verlinden, ministre: Madame Matz, la Belgique a activement participé pendant toute l’année écoulée aux négociations au sein du Conseil au sujet de ce projet de règlement.
En effet, le gouvernement soutient fortement l’objectif de prévenir et de lutter contre les abus sexuels d’enfants et veut aboutir le plus rapidement possible à l’adoption d’un texte en ce sens.
Cependant, lorsqu’il a fallu prendre position sur les propositions de compromis de la présidence espagnole, nous n’avons pas trouvé d’accord au sein du gouvernement sur l’étendue des communications interpersonnelles couvertes et sur l’inclusion du chiffrement de bout en bout, et ce, malgré mon engagement personnel en ce sens.
Nous sommes toujours en train de travailler à la détermination de la position belge et je dois dire que nous ne sommes pas le seul pays dans cette situation. En outre, nous attendons des propositions de texte de la présidence espagnole.
Concernant les moyens dont la police fédérale dispose pour lutter contre ce phénomène, la cellule Child Abuse de la direction DJSOC dispose d’outils servant à l’analyse des images et au traitement des rapports.
Ce service a un accès direct à la base de données d’Interpol sur les mineurs victimes d’abus sexuels. Il dispose également de capacités open source intelligence (OSINT) qui permettent d’analyser le contenu des sources ouvertes. Outre ces capacités technologiques, il collabore avec Child Focus pour tout ce qui concerne le signalement et la prévention, ainsi qu’avec le projet « Stop it Now », dans les différentes Régions du pays.
Ce projet consiste en un dispositif d’écoute et d’orientation spécialisé à destination de toute personne qui se questionne sur la notion de consentement, sur des comportements potentiellement inadéquats, ou encore qui présente des phantasmes sexuels déviants, à son entourage ainsi qu’aux professionnels.
Quant à la collaboration avec les pays étrangers, la cellule Child Abuse est le driver du projet européen European Multidisciplinary Platform Against Criminal Threats (EMPACT) de lutte contre les abus sexuels sur mineurs et la diffusion de leurs images.
La lutte contre ce phénomène est l’une des priorités déterminées par le Comité permanent de coopération opérationnelle en matière de sécurité interne, tous les 14 ans, sur la base de la situation dans les États membres et de l’évaluation des risques préparée par Europol. Y participent activement 26 pays de l’Union européenne, l’Islande, la Norvège, le Royaume-Uni et la Suisse. En outre, ce projet bénéficie du soutien d’Europol, d’Interpol, d’Eurojust et du CEPOL.
Des représentants de la Commission européenne et du Conseil assistent également aux réunions. Quant au projet EMPACT, il se concentre sur l’analyse des informations criminelles, les enquêtes policières et les réponses de la justice pénale à ces faits, les actions contre les cibles de grande valeur, la formation, l’innovation, le renforcement des capacités, la prévision et la coopération opérationnelle avec des partenaires non européens.
Il existe actuellement des projets en cours en Asie du Sud-Est, en Amérique latine et dans les pays des Balkans occidentaux ainsi qu’une coopération bilatérale avec les pays voisins.
Vanessa Matz (Les Engagés): Madame la ministre, je vous remercie pour votre réponse. Je n’ai pas bien compris où était le désaccord au sein du gouvernement. Vous avez évoqué deux aspects. Puis-je vous demander de m’apporter des précisions? Il ne s’agit pas de vous mettre en difficulté.
Je n’ai simplement pas compris. J’ai compris que vous l’aviez défendu au niveau européen mais que vous n’aviez pas été suivie sur deux aspects au sein du gouvernement.
- Pourriez-vous me dire de quoi il s’agit techniquement?
Annelies Verlinden, ministre: Il s’agit surtout de end-to-end encryption, c’est-à-dire l’étendue des communications interpersonnelles couvertes et l’inclusion du chiffrement de bout en bout. Cela concerne le end-to-end encryption et les contrôles opérés sur les communications sur les réseaux sociaux.
Vanessa Matz (Les Engagés): Il se peut dès lors que certaines parties, au niveau du gouvernement, considèrent que « cela relève de la protection de la vie privée » en ce qui concerne les communications. Je suppose que l’opposition vient probablement de là, ce qui nous semble quand même relativement compliqué à défendre car ce sont des images d’abus sexuels et des enfants victimes.
Child Focus s’inquiète de cette réserve au niveau du gouvernement belge quant à l’entrée dans le projet. Je sais que d’autres États sont probablement aussi en discordance par rapport à cela mais il serait extrêmement dommageable que notre pays ne montre pas l’exemple en ayant tous les outils à sa disposition pour combattre ce fléau et ces images d’abus sexuels.
Nous menons parallèlement des travaux dans une commission d’enquête. Si nous ne pouvons pas, au niveau étatique et européen, nous mettre d’accord sur le fait de pouvoir relever ces images, ce serait vraiment très dommageable. Je ne sais pas s’il y a des échéances mais j’espère que le gouvernement trouvera un accord assez rapidement, peut-être sous la présidence belge, sur ce dossier qui est fondamental.