Vanessa Matz (Les Engagés): Madame la présidente, monsieur le ministre, l’émission Investigation de la RTBF sur la question du contrôle des administrateurs de biens m’a très fortement interpellée, et je suppose que je ne suis pas la seule.
Cette compétence attribuée totalement aux juges de paix est d’une importance cruciale pour assurer la sécurité des personnes les plus vulnérables de notre société. Ce contrôle n’est pas efficient dans certains cas. C’est un constat alarmant.
La situation est d’autant plus inquiétante dans les cantons judiciaires qui comptent de nombreuses maisons de repos et de soins ainsi que des institutions psychiatriques. Le nombre de dossiers d’administration est en pleine croissance et, bien entendu, les années à venir verront ces demandes encore augmenter. Dans ces cantons, il est clair que le juge de paix n’a pas les moyens en termes de personnel et d’outils informatiques d’assurer ce contrôle de manière stricte et opérationnelle.
Il est scandaleux de constater que des avocats peuvent, en toute impunité, profiter, pendant de longues années, de la vulnérabilité des personnes et détourner des fonds à leur profit. Il faut donc trouver des solutions pour sécuriser ces personnes et empêcher les escrocs de donner libre cours à leurs activités.
Monsieur le ministre, ne faudrait-il pas octroyer des moyens complémentaires aux juges de paix? Ne faudrait-il pas permettre à ces derniers de disposer de greffiers spécialisés supplémentaires en ces matières? Quelle est votre réaction face à cette réalité? Quelles mesures comptez-vous prendre pour répondre à cette impossibilité de faire face à ce nombre important et croissant de dossiers? Quel logiciel informatique pourrait-il être mis à la disposition des juges de paix pour améliorer l’efficacité de leurs contrôles? De quelle manière peut-on obliger les juges de paix à vérifier le nombre de désignations et de prises en charge par un administrateur?
Vincent Van Quickenborne , ministre: Chère collègue, la loi du 17 mars 2013 a prévu des mécanismes de contrôle des administrateurs pour éviter certains abus de leur part. La loi prévoit notamment la transmission d’informations à la personne de confiance et en cas d’abus, un autre administrateur attaché à la personne protégée.
La loi crée une séparation nette entre les biens de la personne protégée et les biens de l’administrateur. De même, elle multiplie les obligations de rapportage. En cas de suspicion de faute, le juge peut remplacer ce dernier ou modifier ses pouvoirs. Plusieurs actes qu’il pose en violation de l’obligation légale sont nuls de plein droit. Enfin, le Code civil rappelle que sa responsabilité peut être engagée en cas de faute de gestion.
La gestion des dossiers est informatisée depuis le 1er juin 2021. Dorénavant, tous les administrateurs professionnels et les magistrats doivent utiliser le Registre central de la protection des personnes. Ce Registre contient toutes les pièces ou informations qui permettent la gestion, le suivi et le traitement des procédures judiciaires. Cette banque de données informatisée est conçue pour alléger la charge de travail des juges de paix, accélérer la procédure et surtout assurer un meilleur contrôle de la qualité de l’administration grâce à un mécanisme de centralisation de la collecte des données.
Comme l’a établi le Conseil supérieur de la Justice, comme le démontrent des courriers qui me sont adressées régulièrement ainsi que l’émission à laquelle vous faites référence, l’administration peut donner lieu à des abus. On ne peut toutefois pas généraliser ces critiques. Parfois, certains actes sont mal compris par les membres de la famille, qui n’ont pas toujours accès aux informations, faute d’être personnes de confiance.
Il ne faut pas oublier que la protection judiciaire se fait dans l’intérêt de la personne protégée, qui n’est plus capable de gérer seule son patrimoine. C’est dans l’objectif de représenter ou d’assister la personne dans cette gestion que l’administrateur est désigné. Mais il n’est pas tolérable que certains administrateurs abusent de leur position de confiance. Ce qu’il manque, c’est un cadre juridique clair pour les administrateurs.
Un administrateur doit présenter certaines qualités qui contribueront à une gestion plus efficace, plus intègre et plus humaine. J’ai donc chargé en décembre dernier un groupe d’experts d’énoncer les grandes orientations d’une réforme qui encadrera la fonction d’administrateur.
Voici les grandes lignes. Les administrateurs professionnels seront soumis à un certain nombre de conditions avant de pouvoir exercer, via un système d’agrément. Ils devront être formés avant de pouvoir être désignés, notamment dans des matières non juridiques, afin de rendre leur intervention plus humaine et d’assurer leur disponibilité vis-à-vis du public cible. Ils devront démontrer qu’ils disposent de l’intégrité nécessaire pour exercer cette fonction. Pour les avocats, qui constituent plus de 95 % des administrateurs professionnels, un avis du bâtonnier sera nécessaire.
Ils devront suivre une procédure d’agrément dans laquelle les juges de paix auront leur mot à dire. Une fois agréés, les administrateurs devront suivre des formations permanentes pour continuer être désignés. Ils devront également démontrer qu’ils sont suffisamment disponibles pour les personnes protégées.
Enfin, les administrateurs seront soumis à un régime disciplinaire strict et centralisé. L’une des sanctions consistera en la suppression de l’agrément. De cette manière, on s’assurera que les administrateurs qui n’accomplissent pas correctement leurs tâches dans un dossier soient écartés et ne puissent pas poursuivre leurs missions dans d’autres dossiers.
Dès que j’aurai reçu les conclusions de ce groupe de travail, mon administration se chargera de rédiger un projet de texte législatif que j’espère pouvoir soumettre au gouvernement cet été.
Vanessa Matz (Les Engagés): Monsieur le ministre, merci pour le caractère complet de votre réponse, et surtout pour les actes que vous avez posés, que vous posez et que vous poserez. Concernant la gestion des dossiers, le système est informatisé depuis l’été 2021.
Pour ce qui est de la qualité d’administrateur et toutes les conditions qui sont imposées, il me semble qu’il manque un point dans votre réforme, afin d’assurer un meilleur contrôle. L’idée n’est pas non plus, comme vous l’avez dit, d’affirmer que ce sont tous des escrocs. Mais il faut pouvoir repérer les escrocs parmi ces administrateurs. Il manque peut-être un pouvoir de contrôle plus étendu des juges ou, en tout cas, les moyens de le faire.
Vous avez introduit le contrôle via l’informatique. Le contrôle ne devrait-il pas être fait par du personnel spécialement chargé de ces missions?
J’évoquais la piste de greffiers spécialisés dans ces matières. Effectivement, il y a moins de risques qu’un administrateur dérape avec les conditions que vous imposez au niveau de l’intégrité, des agréments à recevoir, etc.
Cependant, un contrôle plus régulier doit être opéré. Je ne jette pas la pierre aux juges de paix, mais les multiples tâches qui sont les leurs et les effectifs que nous connaissons dans la magistrature font qu’ils ne savent pas le faire de manière optimale. Je pense donc qu’il manque un petit volet à votre réforme, c’est ce coup de main complémentaire aux juges. Je parle en termes de moyens humains.