Vanessa Matz (cdH): Monsieur le président, madame la ministre, je vous remercie pour ce bouleversement d’agenda et vous présente mes meilleurs voeux ainsi qu’aux membres de votre
cabinet.
Vous êtes en train de préparer une réforme du Conseil d’État qui touche plus particulièrement le rôle de l’auditorat au niveau de la section du contentieux. Compte tenu de l’importance de la plus haute juridiction administrative dans la protection de l’État de droit, comme nous l’avons encore vu récemment, il nous paraît essentiel que l’ensemble des parties prenantes, en particulier les avocats et les magistrats du Conseil d’État (conseil et auditorat), soient consultées en temps utile.
Or, un appel signé par plus de 120avocats spécialisés en droit public, dont 8 bâtonniers et le président d’Avocats.be, publié dans la presse fin décembre, montre que la demande de consultation que vous ont adressée les avocats francophones a reçu une fin de non-recevoir.
En refusant cette concertation à un stade du processus de décision où elle peut encore être utile, vous allez vous priver d’une vision de cette problématique et donc avancer sur la base d’une vision tronquée du dossier. Ceci est d’autant plus important que le contentieux administratif a évolué de manière différente dans les trois Régions du pays et que cela n’est pas sans conséquences sur le travail du Conseil d’État.
Comme le rappelle très justement l’appel publié dans la presse: « Une réforme du Conseil d’État, c’est une réforme de l’État de droit, tant cette haute juridiction constitue un rempart contre les excès et les détournements de pouvoir commis par les gouvernements et les autorités administratives. » Il ne s’agit donc pas d’un dossier technique mais d’un dossier éminemment politique dans le sens le plus noble du terme, sur lequel nous sommes et serons particulièrement vigilants.
Madame la ministre, quel est l’état d’avancement de la réforme du Conseil d’État? Comment comptez-vous associer l’ensemble des acteurs de terrain, en particulier les avocats des deux rôles linguistiques, dans ce chantier? Quelles consultations avez-vous réalisées jusqu’à présent? Quelles consultations comptez-vous réaliser à l’avenir? Sous quelle forme? Selon quel timing?
Annelies Verlinden, ministre: Monsieur Senesael, tant l’accord de gouvernement que la déclaration de politique générale ont exprimé l’ambition de raccourcir et d’optimiser les litiges administratifs introduits auprès du Conseil d’État. L’importance de procédures rapides et de qualité ne doit pas être sous-estimée. Les requérants et les autorités obtiennent ainsi plus rapidement des éclaircissements – ce qui est favorable à l’instauration d’un climat de confiance ainsi qu’à la sécurité juridique.
Sous mon impulsion, le gouvernement fédéral a déjà approuvé à la mi-avril2021 l’arrêté royal modifiant la loi sur la procédure judiciaire du Conseil d’État, qui a introduit une procédure écrite plus conforme aux principes réglant les litiges administratifs. Dans les cas où la procédure écrite aurait déjà tout prévu, il a été jugé approprié de ne pas tenir d’audience, du moins si le juge et les parties en sont d’accord. Cette méthode permettra d’augmenter l’efficacité du traitement des litiges administratifs et de réduire les coûts pour les justiciables.
Par ailleurs, sur ma proposition, le Conseil des ministres a approuvé à la fin2021 la note conceptuelle relative à l’optimisation de l’activité consultative au sein de la section législation, ainsi qu’au raccourcissement et à l’amélioration du traitement des litiges administratifs au sein du Conseil d’État.
Cette note s’appuie en partie sur le mémorandum des chefs de corps du Conseil d’État rendu en juillet 2019 et a été élaborée après consultation d’experts internes et extérieurs à celui-ci. Le mémorandum prévoit également l’augmentation maximale de l’effectif du personnel. En ce qui concerne la section du contentieux administratif, la note met en avant, entre autres, la réforme du double examen, le pilotage actif de la procédure de suspension et l’organisation d’un examen préalable au procès et à la réintroduction de la boucle administrative. Il est évident que ces propositions abrègent les litiges administratifs, comme cela fut étudié.
Concernant la section législation, l’objectif est de transformer la procédure dite « de débordement » en un outil de gestion plus ciblé. Depuis longtemps, il est nécessaire d’augmenter les moyens du Conseil d’État. Lors du conclave budgétaire d’octobre dernier, il a finalement été décidé – à ma demande – d’accroître progressivement les crédits du personnel de 216 000 euros en 2022, de 1 332 000 euros en 2023 et de 2millions d’euros de manière récurrente à partir de 2024.
Les crédits de fonctionnement du Conseil seront également augmentés de 450 000 euros en 2022 et en 2023 afin de réaliser les plateformes numériques de la section du contentieux administratif et de la section de législation. La mise en œuvre des crédits obtenus est actuellement concrétisée en concertation étroite avec le Conseil d’État. Les mesures nécessaires sont prises pour concrétiser davantage la note conceptuelle en concertation avec le Conseil d’État, également en fonction du cadre budgétaire obtenu. Bien entendu, toutes les parties prenantes concernées seront également consultées et invitées à donner leur avis sur les propositions concrètes; l’impact éventuel des plans de relance sera également pris en compte.
Vanessa Matz (cdH): Madame la ministre, je vous remercie pour votre réponse. Je vous avoue ne pas avoir bien entendu. On parlait évidemment de la réforme que vous êtes en train de mener et de la consultation actuelle des acteurs. Vous dites qu’ils seront consultés, mais dans quel timing? Je voudrais le savoir, dès lors que des options politiques sont déjà prises, maintenant, sur un certain nombre de points. Il est donc complètement aberrant de le faire plus tard. On va simplement leur remettre un « clé sur porte » et ils ne pourront pas répondre à l’ensemble des interrogations que soulève vraisemblablement cet avant-projet de loi. Je vous trouve donc assez discrète sur cette question et sur le contenu.
Je pense qu’il faut en tous cas tenir compte d’une disparité entre le Nord et le Sud dans ce dossier- là. Voir une réforme du Conseil d’État uniquement par la lunette du volet néerlandophone avec, comme vous le savez, beaucoup de juridictions administratives en première instance, de votre côté, n’est pas la vision globale ni celle qui sert l’intérêt général. Je ne comprends pas pourquoi l’ensemble des acteurs n’est pas, à ce stade, à la table aussi pour vous aider à élaborer une législation efficace et qui rend les choses plus rapides. Sous le prétexte des concepts d’efficacité et de rapidité, il ne faudrait pas balayer un certain nombre de principes qui sont aussi des éléments fondateurs de l’État de droit.