Vanessa Matz (Les Engagés): Monsieur le ministre, nous avons de multiples retours syndicaux qui nous indiquent des difficultés de plus en plus importantes rencontrées dans la procédure de reconnaissance des maladies professionnelles par Fedris.
Selon ces représentants syndicaux, Fedris adopterait une attitude systématique de refus de reconnaissance, multipliant les demandes d’expertises complémentaires et les procédures d’appel.
Ce positionnement arbitraire, s’il se vérifiait, ferait évidemment naître un sentiment d’injustice auprès des candidats et candidates à la reconnaissance qui, dès lors, se sentent doublement victimes et abandonnent très souvent, usés moralement et à court de moyens financiers.
Toujours selon ces responsables syndicaux, les dossiers prennent actuellement en moyenne de trois à cinq ans pour obtenir une reconnaissance, tant Fedris rejette systématiquement les conclusions et tente une énième prolongation de procédure.
Monsieur le ministre, j’arrive aux demandes concrètes que je souhaiterais vous soumettre.
- Est-il possible de nous indiquer, sur le budget annuel consacré par Fedris en 2021 ou 2022 – en fonction des derniers chiffres disponibles -, le montant consacré aux procédures judiciaires – frais d’avocat, contre-expertise, appel?
- Quelle est la proportion par rapport au budget annuel consacré à l’indemnisation des victimes?
- Les statistiques de Fedris corroborent-elles le sentiment des organisations syndicales?
- Y a-t-il plus de recours de la part de Fedris qu’auparavant? Si c’est le cas, comment expliquez-vous cela?
- Quel est votre avis sur ces retours syndicaux et sur l’allongement des délais de reconnaissance?
Je vous remercie.
Frank Vandenbroucke, ministre: Madame Matz, en ce qui concerne le nombre de recours, les éléments suivants doivent être soulignés pour remettre les choses dans leur contexte.
Premièrement, en matière de maladies professionnelles en première instance, Fedris n’est pas à l’initiative d’une procédure judiciaire, sauf dans des cas exceptionnels de récupération de prestations payées indument. En procédure d’appel, environ la moitié des recours sont initiés par Fedris.
Deuxièmement, depuis de nombreuses années, l’ampleur du contentieux est identique et limitée à une fourchette comprise entre 6 et 7 % des décisions notifiées par l’institution, soit moins de 1 000 procédures par an en première instance et environ 100 procédures en appel pour l’ensemble du territoire.
Troisièmement, en ce qui concerne le budget consacré aux procédures judiciaires, pour 2021, 371 000 et 399, 62 euros ont été payés au titre d’honoraires aux avocats et 1 623 399, 60 euros aux experts judiciaires. Il y a toutefois lieu de préciser qu’à la différence des expertises médicales concernant les litiges relatifs aux allocations aux handicapés, aux prestations familiales pour travailleurs salariés et aux travailleurs indépendants, à l’assurance chômage et au régime d’assurance obligatoire soins de santé, indemnités, les montants des expertises en maladies professionnelles ne sont pas plafonnés, mais fixés par l’expert judiciaire lui-même.
À titre de comparaison, en 2021, Fedris a indemnisé pour 227 739 667 euros en maladies professionnelles, à savoir presque 228 000 000 d’euros, tout type de dommage confondu. Le budget dépensé en frais judiciaires représente donc 0,87 % des dépenses d’indemnisation – moins de 1 %.
Quant à la longueur des procédures judiciaires que vous imputez au positionnement de Fedris que vous qualifiez d’arbitraire, il faut d’abord rappeler que, lorsque le travailleur introduit sa demande de reconnaissance d’une maladie professionnel auprès de Fedris, il doit introduire un dossier attestant de son exposition professionnelle à un risque de contracter une maladie ainsi que les éléments médicaux attestant de celle-ci. Ce dossier fait l’objet d’un examen sérieux par un ingénieur et un médecin pour vérifier que les conditions légales à la reconnaissance d’une maladie professionnelle sont remplies. Si tel est bien le cas, le médecin-conseil de Fedris vérifie alors s’il y a un dommage indemnisable, et si oui, il en fait une évaluation pouvant donner lieu à une indemnisation. Au terme de cet examen effectué sur la base de critères assurant un traitement équitable de tous les assurés sociaux, une décision administrative est notifiée à l’assuré social qui peut la contester devant le tribunal du travail dans l’année de sa notification.
Si une procédure judiciaire est initiée, il est normal que Fedris y défende la position adoptée en son sein. En effet, le recours repose généralement sur des informations déjà connues des services de Fedris et qui ont été prises en compte lors de la prise de la décision contestée. Il est donc parfaitement cohérent que Fedris conteste la reconnaissance par le juge des revendications formulées par le demandeur. Si un expert judiciaire est désigné, c’est parce que le juge a estimé que les éléments déposés par l’assuré social ne sont pas suffisamment probants pour qu’il puisse prendre, en l’état, une décision définitive.
À la réception du rapport d’expertise, si Fedris constate que les conclusions de ce rapport sont contestables – non conformes au prescrit de la loi, incomplètes ou présentant des contradictions -, il est normal qu’il sollicite une mission complémentaire ou la désignation d’un autre expert.
Cette prérogative appartient également à l’assuré social qui ne manque pas d’en faire usage lorsque les conclusions du rapport d’expertise lui sont défavorables. Dès lors, si le juge accède à cette revendication, c’est parce que le rapport d’expertise contesté ne l’a manifestement pas convaincu, ce qui confirme le bien-fondé de la contestation de celui-ci.
La durée des procédures judiciaires est surtout imputable à l’encombrement des juridictions sociales qui ne traitent pas uniquement du contentieux de maladies professionnelles, ce dont Fedris n’est aucunement responsable. Au vu des éléments explicités ci-dessus, je ne vois aucun motif pour considérer que le positionnement de Fedris dans le cadre des recours judiciaires serait arbitraire. Il m’apparaît conforme à ce qui est attendu d’une administration qui doit veiller à l’application correcte de la législation dont elle est gardienne.
Par ailleurs, l’information selon laquelle les assurés sociaux abandonneraient très souvent la procédure, usés moralement ou à cours de moyens financiers, n’est pas corroborée dans les faits, les services n’y ayant jamais été confrontés à ce jour.
Vanessa Matz (Les Engagés): Monsieur le ministre, je vous remercie.
Ma question comportait des points au conditionnel: un positionnement arbitraire, s’il se vérifiait, ainsi que des retours exprimés par les syndicats. Il ne s’agissait donc pas d’affirmer d’emblée que c’était arbitraire, mais que cela le deviendrait dans certaines hypothèses. Cela paraît plus compliqué.
Je suis quelque peu troublée par vos réponses. Sur quoi les syndicats se basent-ils, en ce cas, pour nous alerter? Sur un sentiment ou sur quelque chose d’inexistant? Cela me perturbe, car ils ne contactent pas plusieurs parlementaires pour leur raconter des balivernes.
Bien entendu, je prends acte de vos réponses, mais il existe un énorme fossé entre celles-ci et ce que nous avons entendu de la part des syndicats.
Dans les jours à venir, je compte éclaircir cette question avec eux.