Vanessa MATZ : Monsieur le Ministre ,
Lors des débats liés à l’attaque sur les policiers et au décès de Thomas M., vous indiquiez « ne pas avoir attendu », que l’évaluation de la loi de 1990 était en cours et que le rapport de révision de la loi avait été approuvé le 3/11/2022.
Dans la presse de ce 16/11/22 (DH), il est avancé que le drame que nous avons vécu aurait pu être évité. En effet, entre décembre 2017 et décembre 2018, un groupe de travail composé de psychiatres s’est penché sur la réforme de la loi de 1990 relative à la protection de la personne des malades mentaux. Cela n’est pas étonnant au vu du grand nombre de procédures de mises en observation et la position des experts était sans aucun doute forte de l’expérience et des problèmes rencontrés sur le terrain.
Selon le psychiatre qui présidait ce groupe de travail, des recommandations pour modifier la loi ont donc été émises il y a plusieurs années. Dans les cas d’urgence comme la procédure Nixon, sur décision du Procureur du Roi, un encadrement permanent de 48h avec un contrôle policier aurait été recommandé pour permettre d’établir un rapport médical circonstancié du suspect, une sorte de « garde à vue médicale ». Cette mesure pourrait permettre d’éviter les cas de fuite du patient avant sa prise en charge, mais également des incidents au sein même des hôpitaux. D’après le psychiatre interrogé, « chaque année, près de 4.000 personnes font l’objet d’une hospitalisation sous contrainte qui débouche souvent sur des faits d’agressivité à l’encontre des visiteurs ou du personnel soignant de l’hôpital. Jeudi dernier, le drame s’est passé en rue mais cela aurait pu survenir aussi à l’hôpital ».
Il semble donc que la situation dangereuse issue des lacunes la loi de 1990 était bien connue et qu’un changement aurait été préconisé par les experts depuis des années.
Monsieur le Ministre,
Mes questions sont les suivantes :
- Quand les recommandations formulées par les experts psychiatres sur l’évaluation de la loi ont-elles été émises ?
- Qu’est-ce qui a justifié le délai entre les recommandations des experts psychiatres et l’approbation du rapport de révision de la loi ?
Je vous remercie de vos réponses.
Ministre de la Justice :
1 et 2. Je ne dis pas que vous vous appropriez les conclusions, qui ont apparemment été publiées dans la DH du 16.11.22, mais nous devons être très prudents avec de telles conclusions. Je me réfère à mon discours du 14 novembre devant la commission mixte Intérieur-Justice, où j’ai tiré quatre conclusions provisoires pour une meilleure politique, sans commenter l’incident dramatique en question. Vous l’avez sans doute écouté attentivement. Aujourd’hui aussi, je reste prudent.
J’y ai aussi dit qu’en 2017, les ministres de la Justice et de la Santé publique de l’époque, Koen Geens et Maggie De Block, ont créé un groupe de travail à la lumière de l’avis du 9 juillet 2015 du Conseil national des établissements hospitaliers. Ce groupe de travail, constitué des différents acteurs concernés, avait pour but de transposer l’avis du Conseil national en un projet de loi concret réformant la loi relative à la protection de la personne des malades mentaux, en tenant compte des remarques du secteur.
Le groupe de travail s’est réuni régulièrement pendant un an. Cela a débouché sur l’établissement d’un rapport provisoire au cours de la dernière législature, en août 2019.
remis le dossier sur la table en janvier 2021 afin de finaliser le rapport provisoire en un rapport définitif en vue d’une réforme de la loi. Les éléments procéduraux ont notamment été rediscutés afin de garantir un équilibre entre protection de la société et les droits et libertés de la personne concernée. Le rapport final a été adapté à nouveau début septembre 2022 en tenant compte de quelques observations formulées par le groupe de travail, puis il m’a été présenté officiellement dans les deux langues nationales le 3 novembre 2022. A cette date, mon administration avait déjà entamé les premières étapes d’une réforme de la loi sur base de la version du rapport dont elle disposait.
Concernant les recommandations concrètes, en particulier celle relative à l’introduction d’une période d’évaluation clinique de 48 heures, j’attire votre attention sur le fait qu’elle n’aurait pas nécessairement constitué une solution pour les événements du 10 novembre 2022. En effet, le point de départ du groupe de travail de 2017 et les recommandations qui en ont découlé visaient à éliminer autant que possible le traumatisme lié à l’application de la loi, de recourir le moins possible à la contrainte et de privilégier au maximum les solutions alternatives volontaires.
Pour le dire autrement : le but était de diminuer autant que possible les admissions forcées. Bien sûr, du point de vue des droits humains, une hospitalisation forcée doit être évitée autant que possible et rester exceptionnelle.
L’introduction d’une période d’évaluation clinique de 48 heures s’inscrivait dans le cadre de cet objectif initial et avait principalement pour but de servir de filtre pour éviter l’application de l’hospitalisation forcée autant que possible en privilégiant des alternatives volontaires adéquates. Elle supposait cependant que le parquet examine en amont, comme aujourd’hui, que toutes les conditions de la mise en observation forcée soient réunies, en ce compris le principe de subsidiarité selon lequel une prise en charge forcée ne peut pas être ordonnée lorsqu’il existe d’autres alternatives adéquates, notamment une prise en charge volontaire.
La différence entre la situation actuelle et ce qui est proposé par les experts, c’est que dans le cadre de cette période d’évaluation clinique de 48h, une évaluation psychiatrique et médico-somatique approfondie serait réalisée en vue de privilégier d’autres solutions qu’une éventuelle hospitalisation forcée.
À la lumière des événements dramatiques du 10 novembre 2022, on examine si ces recommandations doivent être revues et recevoir une autre finalité. Ainsi, l’idée de l’introduction d’une telle période d’évaluation clinique de 48h pourrait être transformée en une mesure conservatoire en vue, notamment, de s’assurer de la faisabilité concrète d’une hospitalisation ou d’un traitement volontaire et de la disposition réelle de la personne concernée à s’y soumettre. Pour éviter des situations comme celle du 10 novembre, le parquet pourrait donc ordonner une évaluation clinique de 48h même si la personne concernée demande une prise en charge volontaire. Le principe de subsidiarité ne serait appliqué qu’après les 48h d’observation, sur base du rapport psychiatrique circonstancié. Cela permettrait, je l’espère, d’éviter ce genre de drame à l’avenir sachant toutefois qu’on ne peut jamais dire que le risque zéro n’existe pas.