La justice fiscale en Europe : David doit l’emporter sur le Goliath numérique.
La justice fiscale en Europe : David doit l’emporter sur le Goliath numérique.

La justice fiscale en Europe : David doit l’emporter sur le Goliath numérique.

Les GAFA[1] innovent, c’est entendu, et certaines de leurs innovations dans la médecine, l’éducation, l’information, la vie quotidienne, la productivité, le divertissement  améliorent drastiquement nos conditions de vie. Pour autant faut-il leur concéder un privilège fiscal inouï, inaccessible à n’importe quelle entreprise familiale ou PME, celui de choisir le pays où elles vont payer leurs impôts? Et cela en toute légalité ! Le 4 octobre 2017, la Commissaire européenne Vestager faisait ainsi observer qu’Amazon, en raison d’une faveur fiscale -indue selon elle- de l’Etat luxembourgeois qui l’a exonéré de 250 millions de taxes, paye un quart de l’impôt dû par une PME locale. Est-ce tolérable ? Aujourd’hui, nous apprenons que Google a transféré légalement 20 milliards de dollars des Pays-Bas vers une société écran aux Bermudes, paradis fiscal bien connu.

En Europe, les milliers de multinationales peuvent ainsi arbitrer entre régimes fiscaux nationaux en raison de leur localisation –réelle ou fictive-, dans plusieurs pays, car elles jouent sur les transferts de profits arbitraires vers le pays moins-disant, fiscalement parlant, par le mécanisme des prix de transfert internes.

Depuis 15 ans la Commission multiplie les tentatives d’harmonisation de l’impôt des sociétés. En vain ! Car l’Irlande, Malte, le Luxembourg et les Pays-Bas agitent la menace du veto pour tout bloquer. La Belgique ne fait aucun zèle sur ce dossier, car elle protège ses propres pratiques borderline. La règle de l’unanimité, ce redoutable verrou de la décision européenne, sévit toujours en matière fiscale, une anomalie d’un autre âge dont une réforme des traités doit absolument nous débarrasser. Seul un impôt européen directement prélevé par Bruxelles sur les multinationales permettrait de résoudre efficacement ce problème. Cela doit être notre objectif. Mais entretemps, il faut s’attaquer directement au problème spécifique des GAFA.  Car le cas des GAFA présente à la fois une urgence –il y a un vide juridique- et une singularité leurs activités se prête particulièrement à éluder l’impôt.

Les GAFA posent trois problèmes.

Elles sont à notre époque ce que furent à la leur, les grandes firmes de l’électricité, de l’automobile, de la chimie, de l’électronique: elles jouissent du monopole lié à une innovation technologique majeure qui transforme l’économie. Elles bénéficient de tels (quasi) monopoles sur une échelle sans précédent, avec deux conséquences : d’un côté, un pouvoir de marché considérable, c’est-à-dire une capacité de fixer le prix bien au-dessus du coût, source de profits gigantesques, le plus souvent sous forme de capitalisation boursière ; de l’autre un écrasement des salaires médians qui, selon des rapports discutés cet été à Jackson Hole ( Wyoming) entre Banquiers centraux, est lié à la concentration du pouvoir économique.

Ensuite, contrairement aux idées reçues, les GAFA induisent une empreinte écologique énorme dont la croissance est exponentielle notamment dans la perspective de l’interconnexion des choses (équipements) alors que le secteur produirait déjà autant de carbone que l’aviation. L’envers de la médaille du numérique est donc à considérer sérieusement.

Enfin, les GAFA ont une triple activité immatérielle qui leur  permet d’échapper à l’impôt ; plateformes numériques pour toutes applications ; collecte, traitement et vente de big data (données personnelles) et création et vente de contenus et d’applications. La saisine de ces activités et leur localisation dans l’espace en vue de leur taxation s’avère extrêmement compliquée. Mais au total, les profits et les gains boursiers sont là. Il faut donc les appréhender pour établir une assiette fiscale et leur appliquer un taux d’imposition.

En tant qu’humaniste, nous ne pouvons accepter que des mesures nationales drastiques (soins de santé, fiscales, sur le coût de l’énergie et des carburants…) soient imposées à nos concitoyens les plus vulnérables et à la classe moyenne alors que le symbole de l’iniquité fiscale parade aux yeux et à la barbe de ces mêmes citoyens et de leurs dirigeants soumis au bon vouloir de cette mondialisation non régulée. Quand on parle de justice fiscale et qu’elle est au cœur du combat et de la révolte de la rue, la taxation du numérique s’impose pour soulager les citoyens en utilisant le produit de cette taxe pour un accompagnement humain et social des transitions, notamment la transition énergétique, que notre époque impose.

A travers l’UE, différents parlementaires nationaux ne supportent plus que les tentatives de la Commission européenne soient tenues en échec par le veto des ‘passagers clandestins’ de la fiscalité des entreprises que sont l’Irlande, le Luxembourg, Malte et les Pays-Bas, qui prennent l’UE en otage de leur égoïsme fiscal ; ou encore, par le veto d’états comme l’Allemagne qui craignent le courroux américain de la rétorsion commerciale.

Une démarche similaire s’impose en Belgique. Il faut prouver le mouvement en marchant et lancer des procédures de taxation au niveau national en vue de susciter une solution plus satisfaisante au niveau européen, le niveau pertinent en l’occurrence. Un voyage de mille lieues commence par un premier pas dit le proverbe chinois. Franchissons ce premier pas.

Vanessa Matz- Députée fédérale


[1] Les GAFAM sont les grandes entreprises américaines du numérique: Google, Apple, Facebook, Amazon,t Elles ont dorénavant leurs contreparties chinoises : les BATX. L’Europe ne dispose pas de tels géants.

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